vendredi 27 mai 2016

Eloge à sainte Jeanne d'Arc (2/2)

Puy-du-fou, l'anneau de Sainte Jeanne d'Arc
Extraits de l’éloge de Jeanne d’Arc par l’abbé Pie, fut Evêque et Cardinal de Poitiers, prononcé dans l’Eglise Cathédrale d’Orléans le 8 mai 1844, jour anniversaire de la délivrance de cette ville (2/2)

2nde PARTIE

~ Les deux saintes données à Jeanne pour conseillères et pour assistantes, sont deux vierges martyres (saintes Catherine et Marguerite). Pour toute récompense finale, ce qu’elles lui promettent, c’est de la conduire en ParadisAussitôt l’école de la douleur commence. La pieuse enfant est méprisée comme une visionnaire, repoussée comme une intrigante, exorcisée comme une démoniaque ; elle a déjà versé bien des larmes, quand elle obtient d’être conduite à son roi. Là, nouvelles épreuves plus pénibles encore, soupçons injurieux, dédains humiliants, voyage à Poitiers où elle a tant à souffrir, plus effrayée qu’elle est des arguments d’une armée de docteurs que de l’artillerie d’une armée d’Anglais. ~

Sainte Jeanne d'Arc, statue à Reims
Un instant effrayée, elle pleure ; ses saintes, qui l’avaient avertie, la consolent ; elle arrache de sa propre main la flèche qui l’a percée, et se met en prière. Et comme Dunois, désespéré, sonnait la retraite : « En nom Dieu, s’écrie-t-elle en se précipitant vers la Bastille, tout est vôtre, et y entrez ». Tout à l’heure elle gisait dans son sang, et la voilà rayonnante de gloire. Sa blessure a été le signal de son triomphe ; c’est la force dans l’infirmité, la puissance par la faiblesse ~.

 « Je ne durerai qu’un an, et guère au-delà, disait-elle souvent au roi ; il faut tâcher de me bien employer cette année ». Hélas ! ce beau mois de mai, qui l’avait vue victorieuse et entourée d’hommages dans Orléans, ne reparut que pour la voir captive à Compiègne. O Jeanne ! je vous aimais heureuse et triomphante, je ne vous aime pas moins, et je vous vénère davantage dans vos malheurs !

~ Désormais les anges et les saintes martyres parlent à Jeanne de son âme, de ses malheurs ; ils ne lui parlent plus de ses exploits. Ce n’est pas seulement le glaive miraculeux qui s’est brisé dans sa main ; son étendard, son saint étendard, qu’elle aimait quarante fois plus que son épée, a roulé près d’elle dans la poussière. Paris entend sa voix et la méprise impunément ; pour la première fois la victoire ne lui obéit pas. Blessée sous les murs de la grande cité, elle voudrait y mourir, et la mort est indocile comme la victoire. O journée fatale ! épreuve terrible ! L’envie de ses rivaux triomphe et s’exaspère ; ses amis hésitent et n’osent plus se prononcer en sa faveur. Tels sont les hommes ; sitôt que le succès manque, leur foi chancelle. ~

Mais ce n’est là que le prélude des douleurs. ~ Pour toute réponse, il lui est dit : « qu’elle prenne tout en gré, et que Dieu lui aidera ». Mon cœur se serre, Messieurs. La vierge qui avait délivré votre ville, qui avait rendu le courage aux guerriers et la couronne à son roi, est tombée entre des mains profanes. Jeanne, abandonnée des siens, et peut-être trahie, comme son divin Maître, est vendue à l’ennemi, vendue, elle, non ce qu’on vend un esclave, mais une tête couronnée. Une prison s’ouvre, prison affreuse, où l’attendent des supplices et des perfidies qu’on ne saurait redire ; prison dont les murailles ont des yeux pour la lubricité, des oreilles pour la trahison.

Un tribunal est érigé par la haine ; un autre Caïphe sollicite le privilège de s’y asseoir. C’est un évêque, un Français, je le sais ; n’en rougissons pas, Messieurs ; depuis longtemps il a renié sa patrie et s’est vendu à l’étranger ; on l’appelle Anglais, Bourguignon, on ne l’appelle plus Français. Les interrogatoires commencent. Là, quel contraste ! D’une part, l’hypocrisie, la bassesse de sentiments et de langage, la servilité, la cruauté ; de l’autre, la franchise, l’élévation, la noblesse ; l’indépendance, la douceur. Cependant, combien Jeanne souffre, elle si pieuse, si délicate, si respectueuse ! Sans doute ses saintes viennent la consoler : « Je serais morte, dit-elle, sans la révélation qui me conforte chaque jour ». Mais à ces voix du ciel qui la rassurent, on oppose la voix de l’Église : comme si quelques âmes vénales, c’était l’Église.

L’Église ! elle parlera un jour, et l’on saura ce qu’elle pensait dans cette grande affaire. L’accusée invoque le pape, le concile : « Le pape est trop loin, lui dit-on, c’est à votre pontife que vous devez obéir ». Elle est, comme Jésus, interrogée, jugée, condamnée avec tout l’appareil des formes légales et le cérémonial imposant de l’orthodoxie. Mais Jésus était un Dieu ; elle n’est qu’une faible femme. Et si l’Homme-Dieu a frémi, si l’Homme-Dieu a sué une sueur de sang, s’Il a eu besoin qu’un ange vînt Le soutenir dans Son agonie, s’Il a demandé que le calice de la douleur passât loin de Lui, comment s’étonner du trouble de Jeanne, de ses craintes, de ses larmes, de ses hésitations passagères ? ~

Mais bientôt les illusions s’envolent ; un bûcher s’allume, et la victime s’avance en pleurant. ~ Un instant encore la nature affaiblie succombe ~ Elle tient entre ses mains, elle couvre de ses baisers une croix, une pauvre croix de bois.

~ Au milieu des flammes, ses derniers soins sont des attentions de charité et de modestie. Les yeux toujours fixés sur le signe sacré, on l’entend invoquer avec larmes les benoîts anges, et les saints et les saintes du Paradis. Elle incline la tête, pousse un grand cri : Jésus ! Jésus ! Et du sein du bûcher, son âme, comme une blanche colombe, s’envole vers les cieux... Eh quoi ! vous tremblez, vous pleurez, ennemis de la France ! Peuple de braves, vous avez brûlé une vierge de vingt ans ; n’êtes-vous pas fiers de cet exploit chevaleresque ! Oui, tremblez et pleurez, ennemis de la France. Vous avez vaincu : mais votre victoire, comme celle de Satan sur Jésus, est une défaite (I Cor., II, 8). Vous avez cru n’être que des bourreaux, et vous étiez des sacrificateurs. Parmi ces tempêtes et ces orages, il fallait du sang pour apaiser le ciel et purifier la terre.

La France est rachetée, puisque Dieu a accepté d’elle une vierge pour hostie ~ Il est désormais permis d’espérer d’heureux retours de fortune. Il a raison, ce secrétaire du roi des Anglais qui s’écrie : « Nous sommes perdus, car nous avons fait mourir une sainte ! » Les cendres de Jeanne crient vengeance contre vous, pardon pour la France ; sa mort vous sera plus fatale que sa vie (Judic., XVI, 30). Dans un même supplice, je vois trois triomphes : le triomphe de la France, le triomphe de la Foi, le triomphe de Jeanne. ~

Jeanne n’aura point de sépulcre ; son noble cœur, la seule partie que le feu n’ait pu détruire, a été jeté dans les flots. ~ « Je sais bien, disait-elle, que les Anglais me feront mourir, parce qu’ils croient pouvoir s’emparer de la France après ma mort ; mais seraient-ils cent mille de plus (Jeanne appelait les Anglais d’un surnom joyeux et militaire : Jeanne était Française, et jusque dans les fers elle avait la gaîté française), seraient-ils cent mille de plus, ils n’auront pas le royaume… Avant qu’il soit sept ans, les Anglais abandonneront un plus grand gage qu’ils n’ont fait devant Orléans ». Six ans ne s’étaient pas écoulés, et Paris, « ce grand gage », se rendait presque sans coup férir à l’intrépide Dunois. Bientôt Charles le Victorieux régnait sur tout le pays de ses ancêtres ; et un siècle plus tard, la blanche bannière de France, flottant sur Calais, laissait lire dans ses plis l’accomplissement de la parole prophétique de Jeanne : Les Anglais seront boutés hors de France. Une femme, une reine voluptueuse avait perdu le royaume ; une bergère héroïque, une vierge martyre l’a sauvé.

Triomphe de la Foi. ~ La France possède un trésor plus précieux encore que son indépendance, qui nous est si chère à tous pourtant, c’est sa foi catholique, son orthodoxie intacte et virginale ; c’est ce trésor qui allait périr. Circonstance mémorable, Messieurs ! Devant le tribunal du Juge suprême des nations, l’Angleterre, en prononçant la sentence de Jeanne d’Arc, a signé, cent ans à l’avance, sa propre condamnation.

« Hérétique, apostate, schismatique, malcréante de la foi de Jhésu-Christ », tels sont les griefs inscrits, de par l’Angleterre, sur la tête de Jeanne. Ne déchirons pas cette inscription précieuse ; livrons-la à l’histoire ; elle pourra lui servir bientôt pour marquer au front une autre coupable, une grande coupable. Édouard n’a-t il pas déjà parlé de faire des prêtres anglais qui chanteront la messe malgré le pape ? Et, à la licence qui règne, ne sentez-vous pas qu’Henri VIII approche ? C’est à ce point de vue, Messieurs, que la mission de Jeanne s’élargit et prend des proportions immenses. Que la France devînt anglaise, un siècle plus tard elle cessait d’être catholique ; ou bien, si elle résistait à ses dominateurs, elle se précipitait, comme l’Irlande, dans des luttes et des calamités sans fin. La cause de la France, au quinzième siècle, était la cause de Dieu, la cause de la vérité : et l’on a dit que la vérité a besoin de la France.

Ste Jeanne d'Arc, Basilique
Notre-Dame de Bonsecours
~ Ne vous étonnez pas si l’archange de la France est envoyé vers une vierge, et si cette vierge est choisie au pied des autels de Remy, l’apôtre des Français, de Remy « qui a sacré et béni, dans la descendance de Clovis, les perpétuels défenseurs de l’Église et des pauvres » (Bossuet, Polit. sacr., l. VII, art. 6). Ne vous étonnez pas enfin si la mission de la libératrice de la France se termine par un grand et mémorable sacrifice. Au mal qui nous menaçait, il fallait un remède surnaturel ; quand la religion du divin Crucifié est en cause, les prodiges de valeur ne suffisent pas, il faut des prodiges de douleur. Ce sont encore nos ennemis qui l’ont proclamé, alors qu’ils se frappaient la poitrine en descendant de cet autre calvaire : « Elle est martyre pour son droict Seigneur ». Et si vous me demandez quel est son Seigneur, elle m’a appris à vous répondre que c’est Jésus-Christ.

~ O Dieu ! soyez béni ! Les juges qui prononcent la sentence de Jeanne ont écrit son absolution devant la postérité, comme les bourreaux qui la livrent aux flammes ont mis la palme céleste entre ses mains, et la couronne éternelle sur sa tête.

~ O vous qui écrivez les fastes de la France et de l’Église, aux noms de Clovis et de Tolbiac, de Charles Martel et des plaines de Poitiers, joignez les noms de JEANNE et d’ORLÉANS, noms désormais inséparables ; car Orléans n’a pas été seulement le théâtre des exploits de Jeanne, il en a été l’auxiliaire ; Jeanne a sauvé son pays et sa foi, et c’est à Orléans ; elle tenait le glaive divin, et Orléans, Orléans tout entier combattait avec elle.

Chrétiens qui m’avez entendu, femmes, vierges, enfants de la cité, vos pères ont partagé la gloire de Jeanne, et ils vous l’ont transmise. Mais Jeanne vous a laissé un autre héritage non moins précieux : c’est celui de sa foi, de sa piété, de ses douces et aimables vertus. La religion n’a pas de plus séduisant modèle à vous offrir que votre libératrice. Ah ! qu’Orléans soit toujours la digne cité de Jeanne ! que Jeanne se retrouve, qu’elle vive, qu’elle respire toujours dans Orléans ! Que sa gracieuse et sainte figure resplendisse dans vos mœurs, qu’elle brille dans vos œuvres. Marcher sur ses pas, c’est marcher dans le sentier de l’honneur ; oui ; mais c’est marcher aussi dans le sentier du ciel. Et les rigueurs dont Jeanne a été victime ici-bas proclament assez éloquemment qu’il n’y a rien de solide, rien de vrai, que ce qui conduit au Ciel.




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