jeudi 29 octobre 2015

Devenir des saints dans l'unique Eglise du Christ, notre Dieu

Armoiries de Son Éminence Révérendissime
le Cardinal Raymond Léo Burke
Homélie de Son Éminence le Cardinal Raymond Léo Burke prononcée dimanche 27 septembre 2015 à Notre-Dame de Paris


J’exprime ma profonde gratitude à Son éminence le Cardinal André Vingt-Trois pour son invitation à célébrer la Sainte Messe aujourd’hui dans cette magnifique Cathédrale de Notre-Dame, et également au Recteur et à ses collaborateurs pour leur chaleureux accueil et leur assistance.

Vraiment, comme le Pape Benoît XVI l’a déclaré dans son homélie lors des vêpres du 12 septembre 2009, durant sa Visite apostolique en France, la Cathédrale Notre-Dame de Paris est« une hymne vivante de pierre et de lumière à la louange de cet acte, unique dans les annales de l’histoire humaine : le Verbe éternel de Dieu est entré dans le monde à la plénitude des temps afin de nous sauver par l’offrande de Lui-même dans le sacrifice de la Croix. »

La Cathédrale Notre-Dame est vraiment une hymne à la louange du Mystère de l’Incarnation rédemptrice du Fils de Dieu dans le sein de la Bienheureuse Vierge Marie. Je rends grâces à Dieu pour l’occasion qui m’est donnée de célébrer ici le Saint Sacrifice de la Messe, et je vous assure que je prie pour le peuple de France, et particulièrement pour les fidèles de l’archidiocèse de Paris, confiant vos intentions à l’intercession de Notre-Dame, spécialement sous son titre de Notre-Dame de Lourdes, l’Immaculée-Conception.

Le Cardinal Burke devant la Vierge noire
de Montserrat.
Suivre Notre-Seigneur ne requiert rien de moins que de Lui donner totalement nos cœurs, de placer entièrement nos cœurs dans Son glorieux Cœur transpercé. De Son Sacré Cœur, le Saint-Esprit jaillit dans nos cœurs, cherchant à pénétrer tous les aspects de nos vies, et à donner l’inspiration et la direction à tout ce que nous pensons, disons et faisons. La discipline que l’Esprit-Saint nous enseigne, en nous purifiant du péché et en nous fortifiant avec la grâce divine, est, en fait, la cause de notre joie la plus profonde, notre chemin vers le bonheur dans cette vie et vers le bonheur éternel dans la vie à venir. Dans le même temps, comme Saint Jacques nous le rappelle, nous ne sommes que les intendants des biens matériels qui nous sont confiés et ceux-ci doivent être utilisés au service du Christ et de Son Corps Mystique. Dans sa charité pastorale, Saint Jacques nous avertit que nos biens matériels sont voués à la corruption et au pourrissement, et que, à la mort, nous nous retrouverons devant Dieu et recevrons l’héritage que nous aurons mérité selon que nous aurons employé les biens qu’Il nous aura confiés pour une fin bonne ou mauvaise.

Très à propos, nous avons prié aujourd’hui avec les mots du Psaume 18 : La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie ; la charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples.

En fait, le but de ma visite en France au cours de ces journées est de présenter un petit livre d’entretiens que je donnais à Guillaume d’Alançon, délégué épiscopal pour la famille et pour la vie du diocèse de Bayonne.
A travers les entretiens, j’espère avoir su exprimer, avec une profonde gratitude, comment le Mystère de l’Incarnation rédemptrice a été à l’œuvre dans ma vie, et comment il nous donne la manière de relever les défis redoutables pour notre vie dans le Christ, dans le monde d’aujourd’hui.

Le Cardinal Burke avec le Sacré Collège. Prions pour les
plus proches conseillers du Saint Père.
Dans l’Évangile qui vient d’être lu, le Seigneur utilise une figure de style, l’hyperbole, pour souligner la perfection qui doit marquer la communion de nos cœurs avec Son Divin Cœur. Il nous dit que, si certains membres de notre corps ne sont pas soumis au Christ, à la façon dont Son Esprit Le conduit, alors il serait préférable de se débarrasser du membre rebelle plutôt que de prendre le risque de désobéir à Dieu et d’encourir le fruit de cette désobéissance, la mort éternelle. En d’autres termes, en tant que disciples du Christ, nous ne pouvons exclure quelque partie que ce soit de notre être de l’influence de l’Esprit-Saint, de l’obéissance au Père dans le Christ. Comme Son amour pour nous est incommensurable et incessant, il faut que notre réponse d’amour soit pure et désintéressée.

L’Esprit du Christ a d’abord été répandu dans nos cœurs par le Sacrement du Baptême. Il est fortifié et augmenté en nous par le Sacrement de la Confirmation. Le désir de Moïse que Dieu le Père« [puisse] faire de tout son peuple un peuple de prophètes, […] [puisse] mettre son esprit sur eux » a, en fait, été accompli par l’effusion de l’Esprit-Saint dans les cœurs de tous les fidèles, que Notre-Seigneur a gagné pour nous. En vérité, la Passion de Notre-Seigneur, Sa Mort, Sa Résurrection et Son Ascension sont ordonnés à la descente de l’Esprit-Saint sur les Apôtres et, à travers les Apôtres, sur tous les fidèles.

À Sa Résurrection, le dimanche de Pâques, et de nouveau le dimanche de la Pentecôte, cinquante jours après Pâques, Notre-Seigneur a répandu l’Esprit-Saint sur l’Eglise et dans le monde entier, dans les cœurs de tous les croyants, pour nous diriger pendant les jours de notre pèlerinage terrestre et nous mener enfin à la destinée de notre pèlerinage, la vie éternelle.

Par le sacrement du Baptême, notre Pâques personnelle, nous parvenons à la vie dans le Christ et sommes prêts à Le suivre. Depuis le moment de notre baptême, avec l’aide de nos parents, de nos curés, de nos enseignants, de nos catéchistes et d’autres bons membres de l’Église, nous répondons de plus en plus à l’aide et aux conseils de l’Esprit-Saint qui habite en nous.
Prions pour nos Evêques, successeurs des Apôtres, gardiens du
dépôt de la foi révélée par Notre Seigneur Jésus-Christ, Roi de l'univers.
Grâce à la Confirmation, notre Pentecôte personnelle, Notre-Seigneur complète le don baptismal du Saint-Esprit, afin que nous puissions être dans le monde des témoins du Christ ressuscité, fidèles, forts et courageux.
Par le Sacrement de la Pénitence, Notre-Seigneur renouvelle la vie de l’Esprit en nous et nous aide à revenir à la voie du Christ quand nous nous en sommes écartés.
Par le Sacrement de l’Onction des malades, Notre-Seigneur pardonne nos péchés et nous fortifie par sa guérison quand nous sommes gravement malades.
Plus merveilleusement encore, à travers l’Eucharistie, Notre-Seigneur nous donne le don de Son Vrai Corps et de Son Vrai Sang afin de nous guérir et de nous fortifier durant le voyage de notre vie, durant le pèlerinage jusqu’à la maison de Dieu le Père. La grâce du Saint-Esprit nous aide à surmonter toute rébellion dans nos vies, tout trouble ainsi que le péché qui nous entrave dans le témoignage du Christ. Le Saint-Esprit nous aide et nous guide dans la suite du Christ, dans le témoignage de l’union de nos cœurs avec Son Sacré Cœur, dans tout ce que nous pensons, disons et faisons.

Comme l’ouverture de la 14ème Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques approche, prions en particulier pour les Pères synodaux afin qu’ils soient parfaitement obéissants à l’inspiration et à la direction du Saint-Esprit. Le Synode des Évêques a été convoqué pour aider notre Saint-Père François, dans la sauvegarde et la promotion de la vocation et de la mission de la famille dans l’Eglise et dans le monde.
La sainte Famille, le seul modèle de famille
voulu par Dieu et consacré par le Christ-Dieu dans l'Evangile.
En ces jours, alors que le Mariage est soumis à une attaque des plus féroces dans la société, et même plus tristement encore, dans l’Église, comme il l’a été durant les dernières décennies, puisse le Synode des Évêques aider notre Saint-Père à présenter au monde entier la splendeur de la vérité de l’enseignement du Christ sur le mariage tel qu’il a été transmis jusqu’à nous grâce à la saine doctrine et à la discipline constante de l’Église.

Notre Seigneur va maintenant rendre sacramentellement présent Son Sacrifice sur le Calvaire, et son fruit incomparable qui est Son Corps, Son Sang, Son Âme et Sa Divinité, comme le Pain Céleste de notre pèlerinage terrestre. Unis avec le Cœur Immaculé de Marie, nous élevons nos cœurs pour les placer dans Son Cœur Eucharistique pour notre salut et le salut du monde. Réjouissons-nous, avec saint Paul, à l’idée que " ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ [nous l’accomplissons dans notre] propre chair, pour Son Corps Qui est l’Église". Comme Notre-Seigneur se donne Lui-même totalement à nous par Son Sacrifice Eucharistique, puissions-nous reconnaître en Lui la plénitude de l’amour incommensurable et incessant de Dieu pour nous.

Comme Il nous offre le fruit incomparable de Son Sacrifice, Son Corps, Son Sang, Son Âme et Sa Divinité dans la Sainte Communion, puisse le Saint-Esprit nous purifier et nous fortifier, afin que nous Le suivions en toutes choses, afin que nous Lui obéissions dans tout ce nous pensons, disons et faisons.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.


+ Raymond Leo Cardinal BURKE


Prions pour les Pères synodaux. Que l'Esprit Saint nous garde dans l'unité et la vérité.

mardi 27 octobre 2015

Communion sacramentelle ou communion spirituelle ? Entretien avec Son Eminence le Cardinal Marc Ouellet - 2e partie (2/2)

Armoiries de S.Em.R. le Cardinal Marc Ouellet
Son Eminence le Cardinal Ouellet : communion spirituelle et communion sacramentelle - 2e partie


II – « Si la communion spirituelle est possible pour les divorcés remariés alors pourquoi pas la communion sacramentelle ? »

La question fut posée dans l’aula synodale lors de la discussion sur l’accès aux sacrements de pénitence et d’eucharistie pour les personnes divorcées et remariées. S’il est possible en effet pour ces personnes de retrouver l’état de grâce par le repentir sincère et donc la possibilité de la communion spirituelle, alors pourquoi ne pas leur permettre aussi la communion sacramentelle? Si l’obstacle de la situation objective d’adultère n’empêche pas nécessairement la communion spirituelle alors la communion sacramentelle n’est-elle pas aussi souhaitable? Nous savons bien que l’absence d’état de grâce due au péché mortel vicie la communion sacramentelle et la rend même sacrilège dans l’opinion de saint Paul reprise par saint Thomas [1] et le Concile de Trente [2]. Mais au point où nous en sommes et à l’heure du Jubilé de la miséricorde, l’Église catholique serait-elle capable d’une amnistie générale envers tant de couples et de familles en situation irrégulière qui voudraient normaliser leur vie sacramentelle?  

Le Cardinal Marc Ouellet célébrant la sainte Messe, la divine Eucharistie
où le Christ se donne à nous dans le Sacrement de son Alliance.
Depuis la réforme liturgique du Concile Vatican II qui a heureusement restauré la participation active des fidèles à la liturgie, nous constatons malheureusement une certaine éclipse du discours sur la communion spirituelle. En revanche, on redécouvre le lien très étroit entre la communion sacramentelle et la communion ecclésiale. Cette redécouverte est un vrai progrès mais à la condition de cultiver le sens spirituel profond des sacrements. On observe en effet la tendance très diffuse chez les fidèles à se présenter à la communion sacramentelle sans une claire conscience des conditions spirituelles requises pour recevoir fructueusement le sacrement. Chez beaucoup, on comprend la communion sacramentelle comme une participation active à la liturgie plutôt que comme un signe de communion au Corps du Christ en tant que membre de l’Église. L’abstention de communier comporte alors un vague sentiment d’exclusion voire de discrimination. D’où un désir de participation complète qui ne soit pas frustré par une discipline héritée d’un passé jugé révolu.

La position de l’Église catholique à l’égard des personnes divorcées et remariées face à la communion eucharistique demeure toutefois claire et constante dans la tradition [3] même si leur situation irrégulière n’empêche pas la communion spirituelle au sacrement. Avant même le Concile Vatican II, un commentateur de saint Thomas d’Aquin évoquait leur cas en ces termes: « Le pasteur miséricordieux devra leur enseigner l’importance et l’efficacité de la communion in voto pour procurer des grâces eucharistiques. »[4] Il précisait ainsi l’enseignement de saint Thomas qui parle équivalemment de communion in voto et de « communion spirituelle » : « Elle est spirituelle parce qu’elle fait atteindre la res du sacrement (l’effet), mais elle est elle-même sacramentelle parce qu’elle fait atteindre cette res (union au Christ) par un votum (désir) dont l’objet propre est le sacramentum (manducation) lui-même bien que sa réalisation rituelle soit actuellement impossible. » [5]

Voici le Corps du Christ, Epoux de nos âmes.
Sommes-nous en communion avec Lui, Lui qui se donne
tout entier à nous ?
La raison profonde de la discipline de l’Église vient du lien très intime entre l’alliance conjugale et la signification nuptiale de la communion eucharistique : « le lien conjugal est intrinsèquement relié à l’unité eucharistique entre le Christ époux et l’Église épouse » (SC, 27, cf. Eph. 5, 31-32). Cette affirmation de l’Exhortation apostolique Sacramentum caritatis assume l’approfondissement théologique de saint Jean-Paul II sur le mariage et dans le cas des divorcés remariés reconfirme la pratique pastorale de l’Église « parce que leur état et leur condition de vie contredisent objectivement l’union d’amour entre le Christ et l’Église, qui est signifiée et mise en œuvre dans l’Eucharistie » (SC, 29).

L’alliance conjugale est en effet le signe sacramentel du don du Christ époux à l’Église épouse, don actualisé dans la célébration de l’Eucharistie et ratifié publiquement par la manducation des saintes espèces au banquet de la nouvelle Alliance : « Prenez et mangez, ceci est mon corps » « Amen! ». Si le signe sacramentel du mariage indissoluble est détruit par la rupture de la première union et l’entrée dans une nouvelle union objectivement adultère, comment les personnes divorcées remariées peuvent-elles témoigner publiquement et en vérité de la signification nuptiale de la communion eucharistique? Même une conversion authentique fondée sur un vrai repentir ne peut enlever l’obstacle d’une situation objective qui contredit la vérité des sacrements du mariage et de l’Eucharistie. C’est pourquoi l’Église demande aux divorcés remariés de s’abstenir de communier sacramentellement, tout en les invitant à pratiquer la communion in voto, la communion spirituelle au sens que nous avons défini précédemment.

La limite qui leur est imposée n’est pas tributaire d’un manque de miséricorde qu’on aurait dû surmonter il y a bien longtemps dans l’histoire; elle tient à la nature même de l’Église et à la signification des sacrements dans l’économie du salut. L’ordre sacramentel exprime en effet « l’amour sponsal du Christ et de l’Église » (SC, 27), le baptême étant le « le bain de noces (cf. Ep 5, 26-27) qui précède le repas de noces, l’Eucharistie » [6]. Le mariage sacramentel étant « signe efficace, sacrement de l’alliance du Christ et de l’Église » (ibid.) là où l’alliance conjugale est rompue, le respect de l’Alliance avec le Christ impose l’abstention de la communion sacramentelle et encourage l’humble prière de désir du sacrement qui ne laisse pas le fidèle sans fruit comme nous l’avons dit. Si on désire la communion au Corps du Christ époux avec lequel on est objectivement en rupture du fait d’une autre union, on ne peut pas dire Amen à la signification d’unité dans la fidélité que suppose le geste de la communion sacramentelle. Par conséquent, on s’abstient de communier sacramentellement pour ne pas entraîner l’Époux dans un faux témoignage, ce qui est une offense à son égard. Bref, la limite imposée par l’Église au long des siècles aux personnes divorcées et remariées n’est pas le fruit d’un juridisme ou d’une tradition sclérosée, elle incarne son obéissance à l’Esprit Saint qui fait mieux comprendre de nos jours la dimension ecclésiale des sacrements et la nature profonde de l’Église comme épouse et Corps du Christ.

Le Sacrement du Mariage, signe de l'Alliance
entre Dieu et les hommes.
La communion eucharistique est à comprendre dans ce contexte comme la communion sacramentelle d’un membre qui engage non seulement sa personne mais aussi l’Église épouse unie au Christ par l’Alliance. L’Église vit son rapport d’Alliance avec le Christ à travers le don des sacrements qui sont des actes du Christ la renouvelant, la nourrissant, l’augmentant et l’animant comme son Corps et son épouse. Chacun de ses fidèles reçoit la communion eucharistique comme membre d’un même Corps, qui intensifie son union au Christ dans la mesure où ses sentiments et sa condition de vie reflètent la fidélité de l’Église épouse à l’égard du Christ époux.

On comprend ainsi pourquoi la communion spirituelle est possible sans que la communion sacramentelle ne le soit. La miséricorde de Dieu peut restaurer la communion spirituelle dans les âmes repentantes, tout en maintenant une limite à la communion sacramentelle, car elle s’adapte à la faiblesse des pécheurs sans toutefois promouvoir cette faiblesse aux dépens de la fidélité des autres membres du peuple de Dieu [7]. La communion sacramentelle des divorcés remariés nivellerait la différence entre la fidélité et l’infidélité au don total et définitif de soi-même. L’Église adopte cette même attitude par amour et respect de son époux divin, tout en s’efforçant de libérer juridiquement et pastoralement les personnes qui sont capables de mettre fin à leur situation irrégulière. En ce sens, des accélérations et des assouplissements de procédure sont souhaités et heureusement pressentis à cet effet [8].

Mais pour les cas d’échec d’un mariage sacramentel authentique, l’annonce de la miséricorde ne peut tenir un double discours, affirmant d’une part l’indissolubilité du mariage sacramentel et ouvrant d’autre part des parcours de pénitence conduisant à la communion sacramentelle. Une pastorale cohérente à l’égard des personnes divorcées et remariées doit explorer plus à fond la voie de la communion spirituelle en explicitant son rapport étroit à la communion eucharistique et à la communion ecclésiale. Ces personnes restent membres à part entière de la communauté. Elles peuvent y trouver une croissance en sainteté dans leur état par l’exercice de la charité, la fraternité et la participation active à la liturgie.

Le vêtement blanc du Baptême annonce celui des communiants et des
confirmands, la robe de mariée comme l'aube du prêtre ou l'habit
des religieux. Gardons nos âmes dans la sainteté et purifions-nous au Sacrement
de sa miséricorde, le Sacrement de Pénitence.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la miséricorde divine déborde l’ordre sacramentel et elle opère dans les cœurs bien au-delà des obstacles observés à vues humaines. Le facteur décisif pour retrouver l’état de grâce avec Dieu n’est pas d’abord le signe de l’absolution des fautes ou de la communion eucharistique, mais bien le repentir sincère et un chemin de conversion qui ont un effet justificateur même quand les conditions objectives des personnes ne peuvent être modifiées. C’est le cas de beaucoup de personnes divorcées et remariées qui gardent en leur cœur un désir intense des sacrements exprimé par leur participation active à la vie de la communauté. Il importe de les accompagner et de leur faire découvrir la valeur positive de leur union à Dieu et de leur témoignage sacramentel, imparfait mais authentique.

On pourrait objecter que cette position ne tient pas suffisamment compte du caractère médicinal de l’Eucharistie, qu’elle risque de dévaloriser l’économie sacramentelle, qu’elle opère une séparation entre la vie intérieure et la vie publique, voire qu’elle manque l’occasion d’un rapprochement œcuménique avec les orthodoxes. En réponse à ces objections, nous devons comprendre que l’abstention de la communion est aussi une manière de confesser publiquement la valeur du sacrement, et que cette forme de participation par abstention et communion spirituelle peut favoriser un processus de profonde conversion et guérison, beaucoup plus qu’une volonté de communier à tout prix, même au prix de contraindre le Seigneur à contredire son propre témoignage. La communion recherchée avec le Seigneur sera davantage obtenue sous le mode du sacrifice et du désir qui ne comportent pas de contre témoignage.

Bref, il faut rappeler que les sacrements ne sont pas seulement des moyens de salut pour les individus, ils sont des gestes ecclésiaux qui appartiennent au témoignage public de l’Église en tant qu’épouse du Christ. Celle-ci enseigne à ses enfants à faire totalement confiance à la miséricorde divine pour leur salut. Elle les entraîne aussi dans son propre respect pour le témoignage d’amour de l’Époux qui s’exprime corporellement dans l’Eucharistie, respect qui serait contredit par une amnistie générale.

La plénitude de la Miséricorde n’est pas seulement dans le fait que tout, absolument tout, soit pardonné dans le Christ, mais dans le fait que nous, pauvres pécheurs pardonnés, soyons des partenaires authentiques du Dieu de l’Alliance. L’Esprit Saint fait progresser l’Église depuis des siècles dans l’intelligence du mystère de l’Alliance, dont le rapport entre l’Eucharistie et le mariage fait l’objet de nos jours d’un approfondissement salutaire. Même ceux et celles qui vivent en situation irrégulière peuvent expérimenter la divine miséricorde dans un cadre sacramentel approprié qui respecte le mystère de l’Alliance : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent. » (Ps 84, 11). 

+ Marc Cardinal Ouellet

__________________
[1] IIIa pars, q. 80, a. 4.
[2] Cf. DH 1646-1647.
[3] Cf. Jean-Paul II, Exhortation apostolique Familiaris Consortio sur les tâches de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui, 22 novembre 1981, n. 84; Catéchisme de l’Église catholique, n. 1650 et 1665; Congrégation pour la doctrine de la foi, Lettre aux évêques de l’Église catholique sur l’accès à la communion eucharistique de la part des fidèles divorcés-remariés, 14 septembre 1994; Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum caritatis sur l’Eucharistie source et sommet de la vie et de la mission de l’Église, 22 février 2007, n. 27-29.
[4] A.-M. Roguet, « Les différentes catégories de communion spirituelle », dans: Somme théologiqueIIIa pars, q. 79-83, 345.
[5] A.-M. Roguet, op. cit., 345-346. Cette précision distingue la communion spirituelle sacramentelle des autres formes de communion spirituelle que sont par exemple le souvenir de la messe, l’union au Christ présent dans le tabernacle, l’adoration eucharistique hors de la messe, etc.
[6] Catéchisme de l’Église catholique, n. 1617.
[7] En effet, « si l’on admettait ces personnes à l’Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l’Église concernant l’indissolubilité du mariage » (FC, 84); cf. aussi Sacramentum caritatis, n. 29.
[8] La communion sacramentelle redevient aussi possible si les époux « prennent l’engagement de vivre en complète continence, c’est-à-dire en s’abstenant des actes réservés aux époux » (FC, n. 4; cf. Jean-Paul II, Homélie à la messe de clôture du VIe Synode des Évêques, 25 octobre 1980, n. 7: AAS 72 (1980), p. 1082). Une telle position semble aujourd’hui plus difficile à justifier théologiquement et pratiquement étant donné que l’union conjugale est beaucoup plus large que l’acte conjugal. Reconnaissons toutefois qu’elle incarne le réalisme sacramentel de l’Église catholique, c'est-à-dire le lien spirituel concret entre la chair du Christ donnée en communion à l’Église et le don charnel des époux qui en est le sacrement.


samedi 24 octobre 2015

24 octobre - Fête de Saint Raphaël, Archange

Saint Raphaël, Archange


 Divin guide, Raphaël,
Recevez avec bonté l’hymne
Chantant nos supplications
Que vous consacrent nos voix joyeuses.

Dirigez notre course vers le salut,
Soutenez nos pas;
Que nous n’errions jamais à l’aventure
Loin du chemin du Ciel.

Regardez-nous d’en-Haut,
De l’étincelante lumière du Ciel
Provenant du Père des Lumières,
Remplissez nos âmes.

Rendez la santé aux malades,
Dissipez la nuit des aveugles;
En chassant les maux des corps
Rendez aux cœurs la vigueur.

Saint Raphaël et Tobie, vitrail de l'église
S.Leu-S.Gilles, Paris
Assistant le Souverain Juge,
Plaidez la cause de nos crimes,
Et apaisez la colère vengeresse,
Fidèle intercesseur auprès de la Divinité.

Vous qui avez repris le Grand Combat,
Confondez l’orgueilleux Ennemi;
Contre les esprits rebelles
Donnez-nous la force,
augmentez en nous la Grâce.

Gloire à Dieu le Père
Ainsi qu’à son Fils Unique,
Avec l’Esprit Paraclet,
Maintenant et dans tous les siècles des siècles. Amen.

lundi 19 octobre 2015

Communion sacramentelle ou communion spirituelle ? Entretien avec Son Eminence le Cardinal Marc Ouellet - 1ère partie (1/2)

Armoiries de S.Em.R. le Cardinal Marc Ouellet
Son Eminence le Cardinal Ouellet : la communion spirituelle et la communion sacramentelle - 1ère partie

Le Cardinal Marc Ouellet, Préfet de la Congrégation pour les Evêques, a publié un article en deux parties le 11 juillet 2015 sur le site de la Conférence des évêques d'Italie.
Ce texte est une réponse à la question posée au n. 53 du Rapport final du Synode extraordinaire des Evêques qui s’est tenu l’année dernière sur le thème « Les défis pastoraux sur la Famille dans le contexte de l’Évangélisation » :

« Si la communion spirituelle est possible pour les divorcés remariés alors pourquoi pas la communion sacramentelle ? »


I – communion spirituelle et communion sacramentelle : unité et distinction 

 « Certains Pères ont soutenu que les personnes divorcées et remariées ou vivant en concubinage peuvent recourir de manière fructueuse à la communion spirituelle. D’autres Pères se sont demandé pourquoi, alors, elles ne pouvaient accéder à la communion sacramentelle. Un approfondissement de cette thématique est donc requis afin de permettre de faire ressortir la spécificité de ces deux formes et leur lien avec la théologie du mariage. »[1]

La proposition 53 du Synode extraordinaire sur la famille demande un approfondissement de la thématique de la communion spirituelle et sacramentelle et son rapport à la théologie du mariage. L’invitation est donc lancée aux théologiens afin qu’ils apportent aux pasteurs l’éclairage indispensable pour une orientation pastorale cohérente et fructueuse.

Avant d’aborder l’application de cette distinction au cas qui nous occupe, rappelons tout d’abord la tradition de l’Église catholique à ce sujet qui semble être sombrée dans l’oubli. De nos jours, la facilité avec laquelle tout le monde communie a fait s’estomper chez beaucoup le sens spirituel profond de la communion eucharistique. Un certain désir de participation active au plan social a supplanté l’exigence fortement ressentie auparavant de l’état de grâce pour s’approcher de la communion. C’est pourquoi il faut rappeler l’enseignement de la tradition catholique sur la distinction et l’unité entre la communion sacramentelle et la communion spirituelle tel qu’il a été compris et transmis au long des siècles.

Dès les origines saint Paul est intervenu en toute clarté sur les dispositions requises pour manger et boire dignement le corps et le sang du Seigneur : « Que chacun s’éprouve soi-même, avant de manger ce pain et de boire cette coupe; car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur mange et boit sa propre condamnation » (1Co 11, 28-29). Parmi ces dispositions ressortent au premier plan la charité et l’unité qui faisaient défaut chez les Corinthiens auxquels il adresse cet avertissement. L’Apôtre indique au chapitre précédent le fondement de ces dispositions : « Le pain que nous rompons n’est-il pas une communion au corps du Christ? Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps; car tous nous participons à cet unique pain » (1Co 10, 16-17). L’Apôtre unit ainsi inséparablement le corps eucharistique du Christ et son corps ecclésial.

Saint Augustin prolonge cette doctrine paulinienne de l’union spirituelle au corps sacramentel et ecclésial du Christ. « Mais si vous êtes le corps et les membres du Christ, n’est-ce pas votre emblème qui est placé sur la table sacrée, votre emblème que vous recevez, à votre emblème que vous répondez ‘‘Amen’’, réponse qui témoigne de votre adhésion? On te dit : Voici le corps du Christ. Amen, réponds-tu. Pour rendre vraie ta réponse, sois membre de ce corps. »[2]

Autant il décrit la vertu unitive de ce sacrement, autant il insiste sur les dispositions pour une authentique communion spirituelle : « Prendre cette nourriture et boire ce breuvage n’est donc autre chose que demeurer dans le Christ et le posséder en soi-même à titre permanent. Par là même, et sans aucun doute, quand on ne demeure pas dans le Christ, et qu’on ne lui sert point d’habitation, on ne mange point (spirituellement) sa chair, et on ne boit pas non plus son sang, quoiqu’on tienne d’une manière matérielle et visible sous sa dent le sacrement du corps et du sang du Sauveur. »[3]

Origène, commentant le Lévitique, parle dans le même sens en décrivant la communion spirituelle de l’âme sainte comme une manducation du Verbe : « Le lieu saint c’est l’âme pure, et c’est en ce lieu qu’il nous est commandé de manger le Verbe de Dieu. Car il ne convient pas qu’une âme non sainte mange ce qui est saint : mais quand elle se sera purifiée de toute souillure de la chair et des mœurs, alors devenue “lieu saint”, qu’elle prenne la nourriture de ce pain qui est descendu du ciel! »[4]

Saint Thomas d’Aquin recueille la Tradition apostolique et patristique et l’enrichit au moyen de ses distinctions caractéristiques dont celles que nous cherchons à mieux comprendre. Il les élabore en détails en traitant de la manducation du sacrement dans la question 80 de la IIIa pars, articles 1 à 12. Voici un extrait du onzième article : « Il y a deux modes de recevoir ce sacrement, le mode spirituel et le mode sacramentel. Or il est évident que tous sont tenus de le manger au moins spirituellement, car ce n’est pas autre chose que s’incorporer au Christ, comme nous l’avons dit. Mais la manducation spirituelle inclut le vœu ou le désir de recevoir ce sacrement, nous l’avons déjà dit. Et par conséquent, sans le vœu de recevoir ce sacrement, l’homme ne peut obtenir le salut. » [5]

Le Docteur Angélique s’efforce ensuite de préciser, sans nécessairement opposer, la communion sacramentelle et la communion spirituelle car elles sont ordonnées l’une à l’autre.
« La manière parfaite de manger ce sacrement est celle où on le reçoit de telle façon qu’on perçoit son effet. Mais il arrive parfois, nous l’avons dit, qu’on soit empêché de percevoir l’effet de ce sacrement; et cette manière de manger est imparfaite. Puisque la différence entre le parfait et l’imparfait est un principe de division, la manducation sacramentelle, par laquelle on consomme le sacrement sans obtenir son effet, est distinguée, par opposition, de la manducation spirituelle par laquelle on perçoit l’effet de ce sacrement, lequel unit spirituellement au Christ par la foi et la charité. »[6]

Communion célébrée par l'abbé Joseph Ratzinger,
futur Pape Benoît XVI
La différence dont il parle ici concerne celui qui communie sacramentellement avec les justes dispositions spirituelles et perçoit par conséquent l’effet spirituel du sacrement, et celui qui ne communie que sacramentellement sans en percevoir le fruit parce qu’il lui manque les dispositions de foi et de charité. Sa réponse aux objections précise encore la même chose : « La manducation sacramentelle qui produit la manducation spirituelle ne se distingue pas de celle-ci par opposition, mais elle y est incluse. »[7]

Bref, il y a un mode parfait et un mode imparfait de communier, le mode parfait identifiant communion sacramentelle et spirituelle, la première nourrissant la seconde; le mode imparfait étant soit celui de la communion sacramentelle sans l’effet spirituel faute de dispositions, ou encore la communion spirituelle de désir (in voto) sans la communion sacramentelle à cause d’un quelconque empêchement. Thérèse de Jésus exhortait ses filles à cette pratique fructueuse : « Quand vous ne communierez pas, mes filles, et que vous entendrez la messe, vous pouvez communier spirituellement, c’est extrêmement profitable, et ensuite vous recueillir en vous-mêmes; cela grave profondément en nous l’amour de ce Seigneur; lorsque nous nous disposons à recevoir, jamais il ne manque de trouver une façon de donner, même à notre insu. »[8]

La tradition catholique s’appuie surtout sur la doctrine du Concile de Trente à propos de la communion eucharistique, en réponse aux positions protestantes. Elle distingue clairement trois cas: la communion sacramentelle des pécheurs qui n’est pas spirituelle parce qu’indigne; la communion spirituelle sans la manducation du sacrement; et la communion parfaite, sacramentelle et spirituelle :
« Pour ce qui est de l’usage, nos pères ont justement et sagement distingué trois manières de recevoir ce saint sacrement. Ils ont enseigné que certains ne le reçoivent que sacramentellement en tant que pécheurs.
D’autres ne le reçoivent que spirituellement: ce sont ceux qui, mangeant par le désir le pain céleste qui leur est offert avec cette « foi » vive « qui opère par la charité » (Ga 5,6), en ressentent le fruit et l’utilité.
D’autres, enfin, le reçoivent à la fois sacramentellement et spirituellement: ce sont ceux qui s’éprouvent et se préparent de telle sorte qu’ils s’approchent de cette table divine après avoir revêtu la robe nuptiale (Mt 22,11-14). » [9]

Le miracle de Bolsena, détail. Avant de communier
sacramentellement nous devons communier
spirituellement en adorant et en scrutant notre cœur
pour qu'il soit une demeure digne de notre Dieu.
L’unité et la distinction des deux formes de communion n’est pas toujours clairement perçue

de nos jours à cause d’une certaine banalisation de la communion que nous avons évoquée au début, qui est à l’opposé de la pratique déficiente de la communion sacramentelle pendant des siècles, que le jansénisme a aggravée dans les temps modernes par excès de moralisme, mais que saint Pie X a efficacement combattue par la promotion de la communion fréquente[10].

Influencés par ces épisodes, certains estiment que la communion spirituelle est une alternative insuffisante (ersatz) à proposer aux personnes divorcées et remariées. Nous y répondrons dans un prochain article à la lumière de l’enseignement que nous avons rappelé, qui laisse entrevoir de réelles perspectives de miséricorde encore à découvrir.

+ Marc Cardinal Ouellet

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[1] Synode des évêques, IIIe Assemblée générale extraordinaire, Les défis pastoraux sur la famille dans le contexte de l’évangélisation. Relatio synodi, 18 octobre 2014, n. 53.
[2] Saint Augustin, Sermon 272, dans : Œuvres complètes, vol. V., Bar-Le-Duc, 1866, 379.
[3] Saint Augustin, Vingt-sixième traité sur saint Jean, dans : Œuvres complètes, vol. X., Bar-Le-Duc, 1864, n. 18, 532.
[4] Origène, Homélies sur le Lévitique, (Sources chrétiennes 287), 13, 5, 220.
[5] Somme théologiqueIIIa pars, Paris, Tournai et Rome, Desclée et Cie, 1967, q. 80, a. 11, 129.
[6] Ibid., a. 1, 53-54.
[7] Ibid.ad 2, 55.
[8] Thérèse d’Avila, « Le chemin de la perfection » dans : Œuvres complètes, Bruges, Desclée de Brouwer, 1964, 35, 1, 489.
[9] Denzinger-Hünermann, Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Cerf, 1996, n. 1648, 442 (Désormais DH). Cf. aussi le huitième canon sur le saint sacrement de l’eucharistie : « Si quelqu’un dit que le Christ présenté dans l’eucharistie est mangé seulement spirituellement et non pas aussi sacramentellement et réellement: A.S. » (DH 1658)
[10] Cf. Giancarlo Pani S.I., « La communione spirituale », La Civiltà Cattolica 3957 (2 mai 2015) 224-237.