jeudi 14 mai 2015

Ascension du Seigneur

Très Révérend Père Dom Jean Pateau, Abbé de Notre-Dame de Fontgombault (Fontgombault, le 9 mai 2013)

Viri Galilæi, quid admiramini aspicientes in cælum ?
Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel, dans l’admiration ? (Introït de la Messe, tiré de Ac 1, 11)


Très Révérend Père Dom Pateau, osb.
Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,

Faut-il se réjouir ou pleurer ? Chaque fête de l’Ascension ramène ces deux sentiments qui se mêlent dans les cœurs des croyants.

Jésus reste avec nous : il ne nous abandonne pas, puisqu’il promet la venue du Paraclet, le Protecteur, le Défenseur. En même temps, il nous quitte pour gagner, avec son corps glorieux, la droite du Père. Ils sont désormais arrivés pour les apôtres et par extension pour tous les chrétiens les temps que le Seigneur avait annoncés : « Les compagnons de l'époux peuvent-ils jeûner pendant que l'époux est avec eux ? Tant qu'ils ont l'époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais viendront des jours où l'époux leur sera enlevé ; et alors ils jeûneront en ce jour-là. » (Mc 2, 19-20)

Le temps de la mission pour tous les disciples du Christ commence : « Allez dans le monde entier, proclamez l'Évangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné. » (Mc 16, 15-16) De fait, la présence du Seigneur accompagnera les disciples, comme saint Marc le rapporte dans son Évangile : « Pour eux, ils s'en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui l'accompagnaient. » (Mc 16, 20) 

La confiance dans la présence fidèle du Seigneur et la mission qui commence semblent être la source de la joie étonnante des disciples après l’Ascension : « s'étant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem en grande joie, et ils étaient constamment dans le Temple à louer Dieu. » (Lc 24, 52-53)

Les difficultés pourtant n’allaient pas manquer. Saint Paul propose un résumé impressionnant du pain quotidien des missionnaires du Christ : « Souvent j'ai vu de près la mort ; cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante coups de fouet moins un ; trois fois, j'ai été battu de verges ; une fois j'ai été lapidé ; trois fois j'ai fait naufrage ; j'ai passé un jour et une nuit dans l'abîme. Et mes voyages sans nombre, les périls sur les fleuves, les périls de la part des brigands, les périls de la part de ceux de ma nation, les périls de la part des Gentils, les périls dans les villes, les périls dans les déserts, les périls sur la mer, les périls de la part des faux frères, les labeurs et les peines, les nombreuses veilles, la faim, la soif, les jeûnes multipliés, le froid, la nudité ! » (2 Co 11, 23-27)

Le pire pour l’apôtre est peut-être d’être confronté à l’indifférence. Ce fut le cas pour Paul lors de sa rencontre à l’Aréopage d’Athènes. À mesure qu’il parle, s’installe entre lui et la docte assemblée, composée de ceux qu’il appelle « les plus religieux des hommes » (Ac 17, 22), comme un malaise. Le Dieu créateur, en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être, son jugement futur sur le monde, la résurrection des corps, n’attirent que peu d’intérêt : « les uns se moquaient, les autres disaient : “Nous t'entendrons là-dessus une autre fois.”» (Ac 17, 32)


De telles considérations, qui nous semblent que bavardages, n’intéressent pas des hommes qui se croient sages. Le vrai Dieu ne les intéresse pas. Suivre les faux dieux, les dieux faits de mains d’homme, ne prête pas à conséquence. Suivre les faux dieux, suivre ses passions, donne l’illusion de la liberté. Écouter saint Paul, c’est au contraire accueillir dans sa vie un être dont la présence remet en question le sens de la vie et l’exercice de la liberté. Mais que vaut une liberté qui s’érige en absolu contre la liberté et la volonté de Dieu ? Que vaut une liberté qui librement s’aveugle ?

Relire les premiers chapitres du livre de la Genèse est éclairant.

La liberté qui fait l’économie de Dieu est celle de la créature avant que Dieu ne parle. Cette liberté a un nom à l’allitération évocatrice : tohu-bohu, chaos. Ce qui met fin à l’état de confusion antérieur à l'organisation du monde, c'est la parole de Dieu : « Dieu dit : “Que la lumière soit”, et la lumière fut. » (Gn 1, 3)La lumière pourrait-elle dire alors : « Je suis ténèbres » ? Non, la lumière ne le peut pas, parce que Dieu a dit : « Que la lumière soit. » La lumière est donc lumière. L'enfant capricieux qui ferme les yeux alors que le soleil est au zénith peut dire : « Il fait nuit, la lumière pour moi c’est comme les ténèbres. » L'enfant le dit, mais il se trompe.


Un peu plus loin, toujours au premier chapitre de la Genèse, Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image... Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. » (Gn 1, 26-28) La conclusion du second récit de la création est encore plus explicite : « C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. » (Gn 2, 24). La parole de Dieu est au fondement de l’union. Certes un homme peut dire : « Un couple selon moi, ce peut être l'union de deux hommes ou de deux femmes. » Il le dit, mais il se trompe. La parole de Dieu demeure la seule référence garante de ce qu’est un couple, garante aussi de la légitimité de sa reconnaissance officielle dans le mariage.

L’enfant capricieux, s’il se met à marcher les yeux fermés, ne tardera pas à tomber. Avant d’avoir atteint le sol, déjà il aura ouvert ses yeux. Ébloui l’espace d’un instant, il comprendra vite que la lumière n’est pas ténèbres mais au contraire un précieux secours de Dieu. La volonté de se libérer du plan de Dieu l’a conduit dans les ténèbres, dans le chaos. La redécouverte de la lumière lui a rendu sa vraie liberté.

Alors que l’économie mondiale s’effondre et que les chefs d’État s’emploient à résoudre la crise, il est consternant de voir comment ces mêmes chefs d’État s’appliquent avec zèle à accentuer la décadence morale de la société et de l’humanité, tant par l’exemple de leur propre vie qu’en promulguant des lois qui se fondent, non pas sur la nature de ceux qu’elles concernent, mais sur une volonté idéaliste et irréaliste d’égalité. L’homme n’a pas à créer le monde : Dieu a dit : « fructifiez et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. » (Gn 1, 28)

Combien de temps faudra-t-il aux hommes pour comprendre qu’une société qui ne protège pas la vie humaine, la cellule familiale et en particulier l’enfant, promeut la haine, s’expose à toutes les dérives et court à sa perte ? La vie et la famille sont des dons nés de la parole divine. Elles ne se vendent pas, ne s’achètent pas, ne se bradent pas. Elles se respectent.


L’homme semble avoir un besoin irrépressible de détruire : défigurer la beauté de la planète, gaspiller et détruire ses ressources énergétiques, la nourriture qu’elle produit, enfin se détruire lui-même en refusant ce qu’il est.

À l’image des apôtres, les chrétiens ont le devoir de répandre à travers le monde la semence de la parole : parole primordiale du premier instant de la création, parole incarnée du Dieu qui se fait parole dans le Christ.`

Cette parole est l’unique voie qui conduit du néant à l’être, du chaos à la vie, des ténèbres à la lumière.

Dans la vie publique, les chrétiens ont le devoir, par leurs votes et plus généralement par leurs actions, de soutenir les candidats et les élus qui ne se rendent pas complices de crimes contre l’humanité mais promeuvent une authentique législation de la vie. Refusant d’appliquer les lois mortifères issues de la dictature du relativisme, usant du droit inaliénable et légitime à l’objection de conscience, ils présentent au monde une authentique liberté fondée dans la vérité.

Saint Paul en cette année de la foi nous encourage : « J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé, nous aussi, nous croyons, et c'est pourquoi nous parlons. » (2 Cor 4, 13 ; cf. Ps 115, 10).

Après l'Ascension, les apôtres s'en retournèrent à Jérusalem avec une grande joie. Tel est l’enthousiasme des porteurs de la bonne nouvelle.

Cette joie nous est également promise en cette fête de l'Ascension. Pour cela, unis à Marie et aux apôtres, attendons le don de l'Esprit que le Seigneur a promis et devenons toujours davantage ses porte-parole jusqu’aux extrémités de la terre. Amen.




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