jeudi 21 août 2014

Centenaire de la mort de Saint Pie X, pp

Nous célébrons cette année le centenaire de la naissance au Ciel d’un très grand Pape, Saint Pie X. Confions-lui l’Eglise et ses pasteurs.

Tombeau du Pape Saint Pie X, Saint-Pierre du Vatican

Le lundi 31 juillet 1903, les 64 cardinaux électeurs sont quasiment tous présents à Rome pour l’inhumation du pape Léon XIII , qui a lieu le samedi 25 juillet 1903 dans la basilique du Latran.

Léon XIII, pp.
Ils se rassemblent chaque jour en congrégations, sous l’autorité du cardinal Louis Oreglia di San Stefano, évêque d’Ostrie et Velietri, doyen du Sacré Collège et Camerlingue. La date d’entrée en Conclave a été fixée au vendredi 31 juillet à 17h00.

Depuis la mort de Léon XIII, les pronostics vont bon train dans les milieux journalistiques, diplomatiques et ecclésiaux. Sur les 62 cardinaux finalement présents , 58 appartiennent aux grandes puissances européennes de l’époque (Italie, France, Autriche-Hongrie, Allemagne, Espagne). Les "papabile" les plus souvent cités sont :
- le cardinal Mariano Rampolla, ex-Secrétaire d’Etat du feu pape, archi-favori, soutenu notamment par les "partis" français, espagnol, et russe ;
- le cardinal Girolamo Gotti, ex-préfet de la Congrégation de la Propagande (missions), carme, soutenu principalement par les partis allemand et autrichien ;
- le cardinal Serafino Vanutelli, ex-Grand Pénitencier, qui a également les faveurs des partis germaniques ; mais il a un frère également cardinal, Vincenzo, ce qui fait craindre un pontificat "népotique" ;
            - le cardinal Giuseppe Sarto, patriarche de Venise, qui n’est certes pas dans les grands favoris, mais qui est une personnalité très populaire en Italie et dans l’Eglise de la Péninsule.

Ce vendredi 31 juillet donc, à 17h00, la procession solennelle des cardinaux se forme pour entrer dans la chapelle Sixtine. Chaque cardinal n’a le droit qu’à deux accompagnateurs. Le cardinal Sarto a choisi son secrétaire, Monsignor Giovanni Bressan, comme "conclaviste", et le comte Stanislao Muccioli comme accompagnateur "garde noble".

Sur chaque côté de la chapelle ont été installées les stalles des cardinaux. Chaque siège est surmonté d’un baldaquin. Lorsque le nouveau Pape aura accepté le choix des urnes, tous les baldaquins seront abaissés sauf celui de l’élu.

Le conclave fonctionnera sous la maîtise d’œuvre du cardinal Oreglia, Doyen, assisté d’un secrétaire du conclave, Monseigneur Rafaël Merry del Val, archevêque métropolitain in partibus de Nicée, président de l’Académie des Nobles Ecclésisatiques, d’un Gouverneur du Conclave, Monseigneur Cagiado de Azevedo, et d’un Maréchal du Conclave, le prince Mario Chigi.

Conclave, dans la chapelle Sixtine
Après la cérémonie de prestation individuelle du serment d’entrée en Conclave, les cardinaux gagnent leurs cellules, la chambre n° 57 au troisième étage du palais pour le cardinal Sarto, puis se retrouvent pour un temps de prières. Puis, il est 20h00, les cérémoniaires parcourent les couloirs pour crier le troisième extra omnes (Tous dehors) tandis que le cardinal Oriegla et ses assistants vérifient que toutes les portes sont fermées et que toutes les ouvertures sont murées.

Les cardinaux sont désormais seuls avec le Saint-Esprit pour élire le successeur de Pierre.

Depuis qu’il est prêtre, et peut-être même depuis le séminaire, le cardinal Giuseppe Sarto ne dort que 4 à 5 heures par nuit.

Alors que veut-il dire lorsqu’au matin de ce samedi 1er août 1903, après sa première nuit dans sa cellule du Conclave, il confie à son secrétaire, Mgr Bressan, qu’il n’a pas pu trouver le sommeil et qu’il a passé une grande partie de la nuit en prières ?

Au matin, après avoir procédé à leur toilette et pris leur petit-déjeuner, éventuellement avec domestiques et barbier sous l’autorité de leur garde-noble, les cardinaux se retrouvent en la chapelle Sixtine pour assister "en communion" à une messe célébrée par le cardinal Doyen et communient de sa main.

Débutent ensuite les travaux du premier vote. Le cardinal Sarto est assis dans sa stalle ; à côté de lui, à gauche, selon l’ordre protocolaire, le cardinal Angelo di Pietro, ex-préfet de la Congrégation du Concile ; et à sa droite, le cardinal Domenico Stampa, archevêque de Bologne.

Il remplit soigneusement le bulletin de vote de 15 cm sur 12 cm sur lequel figure son chiffre et sa devise (Instaurare omnia in Christo). De sa belle écriture, il inscrit le nom de celui pour lequel il se prononce, puis il signe à l’emplacement indiqué, et rabat les volets de son identification, ne laissant apparaître que le nom choisi.

Son tour venu, le cardinal se lève et se dirige vers l’autel situé au fond de la chapelle Sixtine, sous la fresque monumentale du "Jugement dernier" de Michel-Ange.

Devant l’autel, qui porte un crucifix, il prononce le serment préalable au vote, puis dépose son bulletin sur la patène d’un grand calice, le fait glisser dans le calice, repose la patène sur le vase sacré et regagne sa place dans les stalles.

Dehors, devant la basilique Saint-Pierre, la foule s’est massée qui scrute avec attention et impatience le maigre tuyau de la cheminée du poêle de la chapelle Sixtine. Mais on sait bien, en fait, qu’il est fort improbable que le Pape soit élu dès ce premier jour de scrutin.

En fin de matinée, vers 11h30, quelques flocons de fumée apparaissent qui deviennent vite une épaisse fumée sombre. “Sfumata nera” : aucun des cardinaux n’a obtenu les deux tiers des voix nécessaires à son élection.

En fin d’après-midi, c’est encore de la fumée sombre qui s’échappe de la cheminée.

Les scrutins de la journée sont conformes à la liste des "papabile", sauf en ce qui concerne le cardinal Serafino Vanutelli qui n’obtient pas un score significatif.

Ces résultats font dire au cardinal Sarto, s’adressant en latin sous forme de boutade au cardinal Lecot, archevêque de Bordeaux, "Ils veulent s’amuser avec mon nom !".
                                                                                                             
S.Em.R. le Cardinal
Merry del Val
Mais, à nouveau, le doigt de Dieu était pointé sur le fils de paysan de Riese, celui que beaucoup, à commencer par lui-même, désignaient comme un "simple curé de campagne".

Ce dimanche 2 août 1903, la matinée s’est bien passée, mais le vote n’est toujours pas concluant. Le cardinal Rampolla fait le même score que la veille, 29 voix, mais le cardinal Gotti baisse fortement (9 voix) au profit du cardinal Sarto qui totalise désormais 21 voix.

Dans l’après-midi, premier coup de tonnerre sur le Conclave : le cardinal Puzyna Kniaz de Kozielsko, prince-archevêque de Cracovie en Pologne, alors sous domination autrichienne, lut une déclaration de l’empereur d’Autriche et roi de Hongrie François-Joseph prononçant un "veto d’exclusion" contre le cardinal Rampolla. .

Le cardinal Rampolla s’était levé et avait calmement répliqué qu’au nom des principes il protestait "contre l’atteinte faite à la liberté et à la dignité du Sacré Collège" et maintenait donc sa candidature. Mais en ce qui le concernait personnellement "rien ne pouvait m’arriver de plus agréable et de plus honorable".

Le cardinal Oreglia, Doyen, fit également une déclaration de protestation solennelle contre cette intervention politique et affirma que le Conclave entendait garder sa pleine liberté.

Cela fut confirmé par le second vote du jour, auquel le cardinal Rampolla obtint 30 voix, soit une de plus que le matin. Le cardinal Gotti n’en avait plus que 3, et le cardinal Sarto 24 voix, progressant encore.

Mais ce sursaut du cardinal Rampolla n’était qu’un trompe-l’oeil, et tous le savaient. Il n’était malheureusement pas envisageable d’élire un pape qui ne serait pas reconnu par l’empire austro-hongrois, d’autant que le cardinal Rampolla ne progressait plus en voix et que ses "opposants" étaient somme toute nombreux et déterminés. La solution, évidente pour une grande partie des cardinaux, était donc de reporter les voix sur le cardinal Sarto ; il apparaissait aux uns et aux autres, pour des raisons souvent différentes, comme le plus adéquat ; il était déjà en deuxième position et son charisme et sa bonhomie en avaient séduits plus d’un depuis le début des congrégations.

Mais l’intéressé n’était pas de cet avis. Au fur et à mesure des scrutins, son angoisse grandissait, et sa très grande émotivité craignait au plus haut point ce que sa brillante intelligence lui indiquait : ce serait lui.

Ce même soir du dimanche 2 août (NB. Solennité de Notre-Dame des Anges), après le dépouillement du quatrième scrutin, un second coup de tonnerre s’abat sur la Sixtine. Le cardinal Sarto déclare "qu’il n’était pas fait pour la papauté, que l’on avait manifesté sur son nom sans le consulter".

Ce soir-là, lorsque les cardinaux regagnent leur cellule, le Conclave, que l’on prévoyait de courte durée, semble dans l’impasse ; et le cardinal Sarto est dans la détresse.

La soirée et la nuit ne furent pas bonnes, probablement pour aucun des cardinaux électeurs, et certainement furent-elles exécrables pour le cardinal Sarto.

Plusieurs cardinaux le rencontrèrent et s’entretinrent avec lui, qui dans les couloirs du palais, qui dans sa cellule du troisième étage.

Tous le pressaient d’accepter la direction que la Providence divine donnait au Conclave : son élection. En italien, ou en latin avec ceux qui ne le parlaient pas, le cardinal Sarto écoutait les arguments et leur opposait toujours le même "Je n’en suis pas capable, je n’en suis pas digne !".

La nuit se passa en prières, avec beaucoup de larmes pour le patriarche de Venise. Mais pas plus que les cardinaux, l’Esprit Saint ne réussit cette nuit à faire fléchir les terribles appréhensions du cardinal vénitien.

Au matin de ce lundi 3 août, le cinquième tour de scrutin ne laisse plus planer de doute : si le cardinal Rampolla obtient encore 24 voix, en baisse de 6 par rapport au scrutin précédent, le cardinal Sarto en totalise 27, et "passe en tête" !
 
Saint Pie X, à son bureau, avec son fidèle ami, le Cardinal
Merry del Val
A l’énoncé de ce scrutin, le cardinal Sarto se lève immédiatement ; tous les témoignages concordent : il est excessivement pâle, il tremble, et sa voix est mêlée de sanglots ; il déclare à ses pairs qu’il est "indigne du choix que plusieurs ont fait de sa personne" et supplie de façon pathétique "que l’on reporte sur d’autres les suffrages et la charge".
                                                                   
Pendant l’heure de midi, les cardinaux se dispersent. Le cardinal-doyen Oreglia, toujours préoccupé par l’impasse actuelle du Conclave, a l’intention de faire une déclaration rendant officiel le refus du cardinal Sarto d’accepter la charge s’il était élu. Il lui faut pour cela l’accord de ce dernier, et demande au secrétaire du Conclave, Monseigneur Merry del Val, d’aller en faire la proposition à l’intéressé.

Vers midi, Monseigneur Merry finit par trouver le cardinal Sarto dans la chapelle Pauline, absorbé dans une intense prière devant le tableau de la Vierge "Notre Dame du Bon Conseil".

 Dans une scène presque surnaturelle, le cardinal confirme à Monseigneur Merry qu’il souhaite bien que le Doyen fasse la déclaration officielle selon laquelle il refuserait la charge du ministère pétrinien s’il était élu. Puis Mgr Merry le quitte en lui disant "Eminence, soyez courageuse, le Seigneur vous aidera !"

Quel a été le poids exact de cette entrevue entre deux hommes que la Providence ne séparera plus ? Lorsque reprend la séance du Conclave pour l’après-midi, et avant que le cardinal Oreglia ne fasse la déclaration prévue, le cardinal Sarto cédae aux dernières instances pressantes de ses collègues.

Au scrutin du soir, le cardinal Rampolla n’obtient plus que 16 voix ; le cardinal Sarto, avec 35 voix, n’est plus qu’à 8 voix du pontificat suprême.

Dans son premier grand texte officiel, sa déclaration de programme pour le gouvernement de l’Eglise, le pape Pie X écrira dans les premières lignes : "... il est inutile de vous rappeler avec quelles larmes et quelles ardentes prières Nous Nous sommes efforcés de détourner de Nous la charge si lourde du Pontificat suprême ..."  !

Ce soir du lundi 3 août 1903, et cette nuit encore, larmes et prières ne viendront pas totalement à bout de l’angoisse et des appréhensions de celui qui est encore pour quelques heures Giuseppe cardinal Sarto, patriarche de Venise.

Au premier scrutin de ce mardi 4 août au matin, le cardinal Sarto obtient 50 voix, soit beaucoup plus que la majorité des deux tiers requise.

Saint Pie X, sur le trône de Saint Pierre
Sa réaction montre qu’il est encore partagé entre terreur et raison. Le cardinal Matthieu rapporte : "Le cardinal Sarto était accablé. Il avait les yeux pleins de larmes, des gouttes de sueur perlaient sur ses joues, et il parut prêt de s’évanouir." On l’entendit dire à ses pairs "Quelle croix vous m’imposez !" et, comme toujours, associer "Mamma Margherita" au choix de Dieu : "Oh ma chère mère, ma mère bien-aimée !"

Selon le rituel canonique, le cardinal-doyen Oreglia s’approche alors de lui et lui demande s’il accepte l’élection qui le fait souverain pontife. La réponse n’est pas celle attendue : "Quoniam calix non potest transire, fiat voluntas Dei !"
Afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté, le cardinal Oriegla repose la question, avec, dit-on, une nuance d’impatience. Cette fois le cardinal Sarto répond canoniquement "J’accepte", et ajoute "In crucem ! (comme une croix !)".

Lorsque le Doyen lui demande quel nom il souhaite prendre, le cardinal Sarto hésite un instant. Il a pensé à Benoît, notamment en souvenir du pape Benoît XI (1303-1304) qui était, comme lui, originaire du diocèse de Trévise. Mais son choix se porte finalement sur le nom "Pie" et il répond "Pius Decimus".

Le Conclave de cette année 1903 est terminé. Dans la chapelle Sixtine, tous les baldaquins sont abaissés, sauf celui qui est au-dessus du siège du cardinal élu. Ce mardi 4 août le cardinal Giuseppe Melchiorre Sarto est devenu le 257ième pape de l’Eglise catholique  sous le nom de Pie X. Il sera "couronné", selon l’expression en vigueur à l’époque, le dimanche suivant 9 août.




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