mardi 6 août 2013

2 août - Solennité de Notre-Dame des Anges

Notre Dame des Anges, tableau de la chapelle des saints Anges
peint à la demande du vénérable abbé Henri Marie Boudon, grand archidiacre d'Evreux

Ce 2 août, solennité de la Dédicace de la Basilique patriarcale Notre-Dame des Anges, humble chapelle restaurée par saint François à Assise, l'Archiconfrérie du Saint Sacrement et des saints Anges ainsi que quelques amis parisiens et bretons, s'est rassemblée dans la chapelle Notre-Dame des Anges, dans la Cathédrale d'Evreux, où repose le vénérable Henri Marie Boudon, son fondateur, pour une Messe solennelle.

Cette magnifique Messe a été présidée, dans la forme extraordinaire, par Monsieur le Chanoine Frédéric Goupil, icrsp., et nous reproduisons sa magnifique homélie :


Statue de Marie - Mère de Dieu, chapelle du
Saint-Sacrement, Cathédrale Notre-Dame d'Evreux
Fête de Notre-Dame des Anges

Les images représentant Notre-Dame des Anges la montrent ordinairement portant en ses bras son divin Fils, notre Seigneur. Le tableau ainsi proposé peut nous paraître quelque peu pieux, s’adaptant à notre dévotion, et nous risquerions de manquer le caractère fondamental de cette représentation, qui est pourtant universelle en Chrétienté.

De même que le crucifix n’est pas le fruit d’une quelconque dévotion médiévale mais la représentation de ce qui constitue le sommet de l’histoire du monde et du salut, cette représentation de la Vierge à l’Enfant nous replonge à l’origine des âges, à l’aube du monde, et du monde invisible, au deuxième instant de la vie des esprits célestes.

Ceux-ci venaient d’être créés : bons, naturellement heureux, beaux, intelligents à un degré qu’il nous est impossible d’imaginer.

« Tous les anges sont différents en espèce, expliquait M. Boudon, et par conséquent de différente beauté […]. Leurs excellences sont sans imperfection » (BOUDON : Dévotion aux neuf chœurs des saints Anges ; 1er motif.).

Ne parlons même pas de leur nombre : « Le nombre de tous ces Anges est si excessif, que le saint homme Job déclare qu’il est innombrable. Il y a des savants qui tiennent qu’il surpasse le nombre de tous les astres du Ciel, de tous les oiseaux de l’air, de toutes les gouttes d’eau, de tous les brins d’herbe, de tous les atomes, enfin de toutes les créatures visibles. S. Grégoire de Nysse dit qu’il y en a une infinité de millions. [Dieu seul], dit le grand S. Denys, en sait le nombre » (in op. cit., 3e motif).

A cela, Dieu ajouta l’épreuve qui devait mériter aux anges l’accession à l’état surnaturel, la félicité pour une éternité, le parfait repos que nous souhaitons aux âmes qui quittent le monde.

Les Anges adorant le Verbe incarné, mosaïques de la chapelle basse
de la Basilique de la Transfiguration, Mont Thabor

Cette épreuve demeure pour nous, humbles mortels, bien mystérieuse. Toutefois, toute la Tradition de l’Église y voit Dieu montrant d’avance à Ses anges les mystères de l’Incarnation à venir (Dieu fait homme) et de la Rédemption, à savoir Jésus naissant humblement dans une crèche puis souffrant douloureusement Sa Passion par amour des hommes.

Le vénérable abbé Boudon dit par exemple que les anges « ont combattu dès le commencement du monde pour l’intérêt de Dieu, et pour la querelle du Verbe incarné » (Dévotion aux neuf chœurs des saints Anges ; conclusion).

Dieu attendait de Ses anges un acte d’adoration et de soumission à Ses volontés, dans un grand et obscur mystère.

La chute des Anges,
Bruegel
Mais l’assemblage de dons incommensurables, la pluie de grâces que Dieu avait déversé sur les célestes esprits tourna hélas la tête, si vous me permettez l’expression, du premier de ces esprits, le plus intelligent, le plus beau, partant : le plus aimé de Dieu : Lucifer, le Porte-Lumière, c’est-à-dire celui sur lequel comptait Dieu pour faire resplendir Sa gloire.

Lucifer, donc, refusa de s’agenouiller devant ce Dieu fait homme. Pourquoi ? Non pas qu’il refusât à Dieu l’acte d’adoration qui Lui est due : il n’y a rien de déshonorant pour un ange, une créature, d’adorer le Créateur. Dans le cas présent, il fut demandé à Lucifer d’adorer un Dieu fait homme, un Homme-Dieu. Et là, nous comprenons mieux l’incompréhension du premier des anges.

Pour pénétrer ce mystère, j’utiliserais une image, une parabole, à l’exemple de Notre Seigneur. Si Dieu nous annonçait, à nous, hommes, qu’Il allait S’incarner en fourmi, voire pire, en moucheron, araignée ou larve, et qu’Il nous demandait de L’adorer d’avance en cet animal abject, cela nous donnerait un haut-le-cœur, et sans doute nous insurgerions-nous face à une telle humiliation.

La Très Sainte Trinité
aux Anges
Comprenez bien qu’il s’agit bien de cela pour Lucifer et les anges. De nature parfaite, ils étaient appelés par Dieu à adorer d’avance Jésus dans une nature ô combien inférieure à la leur, dans un état, non de splendeur royale, mais d’extrême pauvreté et même tout couvert de plaies.

Face à un tel mystère, qui scandalise la sagesse humaine et passe pour folie, Lucifer s’indigna, s’insurgea et s’écria « Non serviam » : je ne servirai pas, entendons : le Verbe incarné et Sa sainte Mère.

En refusant d’adhérer à un plan qui le dépassait (c’est tout le contraire de Notre-Dame), Lucifer refuse de s’abandonner à la volonté de Dieu, et par là montre qu’il n’a en Lui aucune confiance, et donc aucune amitié.

Notre-Dame, qui est l’exact contraire de Lucifer, se voit proposer, le jour de l’Annonciation, un plan qui l’exalte, elle se trouble et par humilité fait une objection, mais bien rapidement, l’obéissance prend le dessus et elle accepte : « Fiat », « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole ». Marie est toute confiante en Dieu car elle est Son amie par excellence, « Sa colombe, Sa toute-belle, Son amie, Son aimée », comme dit le Cantique des Cantiques.

Lucifer, refusant de servir, refusant ce grand saut dans le vide qui devait le conduire au Paradis, se fait ainsi son propre dieu en voulant accomplir sa propre volonté : il est trop beau et intelligent pour ce soumettre à pareil scénario !

Le prophète Isaïe décrit le péché et la chute de Lucifer : « Comment es-tu tombé du ciel, Lucifer, qui dès le matin te levais ? Comment as-tu été renversé sur la terre, toi qui […] disais dans ton cœur : je monterai au ciel, au-dessus des astres de Dieu j’élèverai mon trône ; je siègerai sur les montagnes de l’Alliance, aux côtés de l’aquilon ! Je monterai sur la hauteur des nuées, je serai semblable au Très-Haut ! » (XIV, 14-15).

Josse Lieferinxe, Crucifixion, détail, saint Michel expulsant Satan du Ciel

Par son refus de servir, d’accomplir sa mission, sa vocation, il se fait le propre maître de son destin, refusant à Dieu Sa maîtrise de toute vie.

Par son opposition, il se veut « semblable à Dieu » : sacrilège suprême, au nom duquel d’ailleurs Caïphe condamnera Jésus à mort, Lui Qui était pour le coup vraiment Dieu, mais un Dieu Qui S’humiliait, alors que la créature angélique s’exalte. Or nous savons que « quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé » (Lc XIV, 11).

« Mais cependant tu seras traîné dans l’enfer, au fond de l’abîme… », poursuit le prophète. Satan, refusant comme je le disais le grand saut dans le vide, s’illusionne et s’éblouit lui-même (lui le précurseur des prétendues Lumières), et chute alors irrémédiablement, et d’autant plus bas qu’il était le plus élevé dans les hiérarchies angéliques.

Sceau de l'abbaye du Mont
Saint-Michel
Quant à son second, saint Michel, horrifié non pas par ce que lui demande le Seigneur, mais par l’ahurissante révolte de la première créature en dignité, se lève et s’exclame de tout son être : « Qui est comme-Dieu ! », provoquant la chute de son supérieur, tandis que chacun des milliards d’anges choisit en un instant son camp, qui pour le Paradis, qui pour l’enfer.

Alors les saints Anges furent aussitôt récompensés de la gloire céleste et d’une félicité inamissible, saint Michel recevant la place abandonnée par le prévaricateur par excellence. Ces princes de l’armée victorieuse, nous dit Boudon, « ce sont des esprits entièrement désintéressés, qui n’ont jamais eu le moindre mouvement pour leur propre intérêt, qui ont été toujours tout perdus dans le pur amour, dans l’amour de Dieu seul, qui ont combattu dès le commencement du monde pour l’intérêt de Dieu » (BOUDON : Dévotion aux neuf chœurs des saints Anges ; conclusion). Pour l’intérêt de Dieu, c’est-à-dire pour l’accomplissement de Sa volonté, même et surtout quand on ne la comprend pas. « Adveniat regnum Tuum, fiat voluntas Tua sicut in cœlo et in terra ». S’étant opposé à l’avènement du règne de Dieu et à l’accomplissement de Sa volonté – non pas seulement si Dieu le veut mais COMME Dieu le veut –, Lucifer est devenu Satan, qui signifie « le diviseur, l’accusateur » des hommes.
Domenichino, le péché originel. Adam
accuse Eve et Eve le serpent.

Que viennent faire, me demanderez-vous, les hommes dans cette histoire malheureuse et grandiose en même temps ?

Eh bien ces pauvres hommes, cette humble humanité est le motif-même de tout ce céleste combat, puisque ce fut parce que Dieu voulut Se faire homme que Lucifer se révolta. Reprenant le psaume 8e, il aurait pu répondre à son Créateur : « Qu'est-ce que l'homme pour que tu penses à lui, le fils d'un homme, que tu en prennes souci ? Tu l'as voulu un peu moindre qu'un dieu, le couronnant de gloire et d'honneur » (Psaume 8) ».

Lucifer est jaloux de l’homme car, quitte à S’incarner, Dieu eût mieux fait de S’« incarner », si je puis dire, en ange, de « s’angéliser »Lucifer est d’autant plus jaloux qu’il est aujourd’hui malheureux, pour une éternité, à cause de l’homme, à cause de cette épreuve originelle qui avait l’homme pour motif. Lucifer est encore davantage jaloux de la race humaine qu’il la voit aujourd’hui remplir au Ciel des stalles, des trônes qui lui étaient réservés, à ses anges et lui.

Contrairement à leurs malheureux compagnons, les saints Anges, selon le fondateur de notre archiconfrérie, « ne sont pas fâchés de nous voir égaux en gloire, mais ils sont ravis, et font ce qu’ils peuvent pour nous voir plus glorieux dans le Paradis qu’ils ne le sont eux-mêmes. […] Quand ont-ils commencé à nous aimer ? Au moment-même que nous avons commencé d’être ». Je surenchérirai en disant : au moment-même où ils adorèrent le Christ dans Sa nature humaine.

« Tous, sans réserve, prennent soin de nous, soit d’une manière, soit d’une autre : tous les neuf chœurs des anges sont au service des hommes » affirme notre vénéré fondateur.

Vitrail de l'arbre de Jéssé. Marie, Mère de Dieu,
tient dans ses bras l'Enfant Dieu.
Cathédrale Notre-Dame d'Evreux, chapelle du
Saint Sacrement.
Or, comme nous le voyons dans l’admirable vitrail de l’arbre de Jessé, dans la chapelle de la Mère de Dieu, la fleur de l’humanité, c’est la Très Sainte Vierge, et le fruit en est Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme.

Dans l’épreuve angélique, à l’origine du monde, l’image – ou plutôt le concept, l’idée – d’un Dieu incarné et rédempteur comportaient nécessairement la présence, déjà, de la Co-Rédemptrice, et que ce soit l’Enfant-Jésus ou le Christ mort, dans les deux cas, c’est la plus pure et la plus parfaite créature humaine qui le portait, qui le soutenait : la Vierge Mère portant en ses bras son bébé (le divin Poupon), et la Mère de Douleurs portant en ses bras le Christ pâle et sans vie après Sa déposition de la Croix.

Parlant de la Très Sainte Vierge Marie, le vénérable abbé Boudon enseigne que les saints Anges « ont fortement combattu pour sa gloire dès la création du monde, s’opposant à Lucifer et aux anges apostats qui n’ont pas voulu se soumettre à son empire, Dieu leur ayant révélé qu’elle devait être quelque jour leur souveraine ».

N’y voyez pas de blasphème, mais l’auguste Mère de Dieu, par sa fidélité au dessein de Dieu, s’est révélée une vraie Porte-Lumière. Tandis que Lucifer, dont le nom indiquait bien les espoirs mis en lui par le Seigneur en le créant, Lucifer, lui, trahit sa mission et par là-même perdit son nom.

détail, vitrail de l'Annonciation, Cathédrale Notre-Dame de Paris
Mes Frères, en célébrant aujourd’hui notre fête patronale de Notre-Dame des Anges, sachons admirer, à chaque fois que nous verrons une image ou statue bénie de la Vierge à l’Enfant (comme au-dessus de nous en cette chapelle ou par la belle statue médiévale au fond de la cathédrale), sachons admirer ce mystère, cette image-même que les saints Anges aperçurent à l’origine.

De même que devant un crucifix, nous sommes mystiquement présents au pied de la Croix (et nous le sommes réellement à chaque sacrifice de la Messe), imaginons-nous au milieu des anges et agenouillons-nous alors révérencieusement devant notre auguste Reine et Maîtresse pour lui offrir les hommages du culte d’hyperdulie qui lui est spécial, et adorons « de tout notre cœur, de toute notre force et de toute notre âme » (Lc X, 27) l’Enfant-Dieu qu’elle porte en Ses mains et propose ainsi à nos lèvres, comme elle Le présenta le premier jour de l’histoire du monde à saint Michel et à ses anges, puis il y a deux mille ans aux Rois mages venus d’Orient, puis à l’ensemble des hommes, ses enfants, comme elle le fait depuis en chacune de ses si populaires représentations de Vierge à l’Enfant. Ainsi soit-il.



détail  du dallage de la chapelle royale de Versailles


1 commentaire:

  1. Magnifique Messe... Magnifique homélie... De la part du chanoine Goupil cela ne m'étonne pas vraiment...

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