samedi 2 octobre 2010

340e anniv. de la fête des SS. Anges gardiens pour l’Église universelle (1670-2010)


Célébrant aujourd’hui l’une de ses fêtes patronales, l’Archiconfrérie des saints Anges ne peut s’empêcher de s’étendre quelque peu sur l’histoire de cette merveilleuse fête, en l’honneur d’êtres pour lesquels nous n’avons trop souvent qu’un méprisant oubli. Nous citons pour cela le bel article bel article de Camille Belmon, inspiré du livre du P. Beau, Le Bienheureux François d'Estaing, évêque de Rodez (1480-1529) (Chapitre III), auquel nous renvoyons volontiers.

Il revient au bienheureux évêque de Rodez, Mgr François d’Estaing (1480-1529), d’avoir fait approuver en 1518 par Léon X un Office et une Messe des saints Anges gardiens, à la date du 1er mars (ce que confirma encore Rome en 1914). Jusque-là inconnue en France, cette fête s'étendit lentement à tout le royaume. Deux églises parisiennes, au XVIIe s., honoraient les Anges gardiens : l'église des SS. Loup et Gilles et celle des Quinze-Vingt. Puis, par l’intermédiaire de sa cousine, la Vénérable Antoinette de Levezou, religieuse bénédictine du Monastère-sous-Rodez partie réformer les couvents d'Espagne, et du cardinal de Carvajal, la fête s’implanta Outre-Pyrénées, notamment à Tolède, le siège primatial.

Par une concession du 27 septembre 1608, le pape Paul V approuva cette fête pour l'Allemagne, le 1er jour libre après le 29 septembre. Puis la Congrégation des Rites expliqua que cette fête restait facultative. Enfin Clément X (ci-contre), en 1670, l'imposait à l'Eglise universelle, en la plaçant au 2 octobre.

En somme l'institution de cette fête a été pour notre évêque une oeuvre de prédilection dont la réalisation s'étend sur tout son long épiscopat. La pensée lui en vint dès le début de son administration ; il se mit de suite à l'oeuvre, secondé par de précieux concours, mais les difficultés surgirent presque en même temps, et il ne fit son oeuvre bien complète que sur le soir de sa vie. Au même temps s'achevait la belle tour de sa cathédrale ; la Sainte Vierge désormais trônait au-dessus de Rodez, les deux entreprises avaient progressé et se terminaient parallèlement.

C'est quand le Bienheureux François était gouverneur d'Avignon qu'il s'occupa déjà de faire composer l'office de l'Ange Gardien. Dès ce temps-là sa pieuse résolution était arrêtée. S'il fallait en croire le P. Beau, il aurait même durant son ambassade auprès de Jules II, obtenu de ce pontife la concession de la fête par un oraculum vivae vocis. Le biographe tire son renseignement, assure-t-il, des archives de la maison d'Estaing, où il a trouvé des instructions données par le saint évêque à son secrétaire pour la conduite du procès relatif à la réforme de son calendrier. Rien ne nous oblige à nous délier de cette affirmation, dont la source est si bien indiquée. Dans ce cas, l'institution de la fête et de l'office de l'Ange Gardien aurait réellement été la première pensée de notre Bienheureux à l'aurore de son long épiscopat. C'est à peine si à ce moment les difficultés touchant son élection étaient parvenues à s'aplanir. Il n'aurait pas fait son entrée dans sa chère église, et déjà il songeait à la doter d'un culte qui deviendrait pour elle un glorieux patrimoine.

Dans la préface qu'il a mise a son oeuvre, l'auteur de l'Office de l'Ange Gardien donne à François d'Estaing le titre de Gouverneur d'Avignon et Lieutenant de Sa Sainteté. Voici les quelques lignes qui nous sont parvenues de cette épître dédicatoire : « En proposant la célébration de la fête de l'Ange Gardien, vous avec obéi, révérendissime Prélat, à une pensée très haute, qui s'impose à l'attention et que je m'étonne grandement de ne pas rencontrer dans les siècles passés. Les saints Anges, d'après l'enseignement de Jésus-Christ, ne se réjouissent-ils pas et ne célèbrent-ils pas une fête au jour de notre conversion ? Mais c'est à vous, qui mettez tant de zèle et de dévotion à promouvoir les choses saintes, que la Providence divine réservait cette institution, dont certainement l'Ange député à votre garde vous a inspiré la pensée ».

On le voit, l'auteur présente l'établissement de cette fête comme une innovation dont il ne connaît pas d'exemple dans le passé. Qui parlait ainsi à l'évêque de Rodez ? Qui avait été chargé par lui de trouver les premières formules de louange à l'adresse du saint Ange Gardien ? Un pieux religieux franciscain que l'évêque du Puy, Geoffroy de Pompadour, venait de tirer de son cloître pour en faire son coadjuteur, on disait alors son suffragant. Il s'appelait Jean Colombi, et avait le titre d'évêque de Troie, en Asie Mineure. Certains documents l'appellent Jean de Pressuris, ou de Beulenc. Il a composé un ouvrage sur la confession, qui parut en 1548, et où il est qualifié de pénitentiaire de Notre Saint Père le Pape en Avignon. François d'Estaing étant Abbé de Saint-Chaffre en Velay, s'était lié avec ce savant religieux ; sa prédilection pour les Cordeliers fut toujours très marquée. Jean Colombi dut suivre François d'Estaing à Avignon, probablement même attiré par lui et, aidé sans doute de son influence alors très grande en cour de Rome, il fut nommé pénitencier du Saint Père.

Dans la rédaction de cet office, Colombi s'était attaché à énumérer les bons offices que nous rendent les saints Anges ; pour cela il avait parcouru les saintes Lettres et y avait puisé tous les exemples de cette protection. L'office que nous récitons aujourd'hui en a conservé un grand nombre ; plusieurs cependant n'y ont pas trouvé place, bien qu'ils demeurent d'une application très heureuse. Tel est l'épisode de l'Ange qui, armé d'un glaive, se porte à la rencontre de Balaam pour l'empêcher de maudire les camps d'Israël ; n'est-ce pas le rôle de notre saint Ange Gardien quand, en nous inspirant des craintes salutaires, il nous détourne du mal ? Il y avait encore l'histoire d'Agar, quittant le toit de sa maîtresse et ramenée à son devoir par l'ange de Dieu : Unde venis aut quo vadis ? Il y avait le trait délicieux rapporté par Notre divin Maître, du bon jardinier qui intercède pour le figuier trop longtemps stérile, condamné à être déraciné : Domine, dimitte etiam et hoc anno, usque dum fodiam circa eum et mittam stercora, et siquidem fecerit fructum... Nous regrettons sincèrement la disparition de cet exemple des attentions délicates et miséricordieuses de notre Ange Gardien, et aussi de la mention des Anges qui, après le trépas du pauvre Lazare, portèrent son âme dans le sein d'Abraham. […]

Il fut donc rédigé de 1506 à 1510, époque où le Bienheureux resta à Avignon, et probablement proposé sans retard au clergé de Rodez. L'évêque aurait voulu le soumettre à la solennelle approbation du Saint-Siège, déjà prévenu de son pieux projet, mais, dans le cours des dernières années, l'attitude de Jules II pour la France s'était considérablement modifiée. On sait comment notre saint pasteur fut mêlé malgré lui à ces regrettables questions. Tandis qu'il suivait le trop fameux concile de Pise dans ses divers déplacements, ce n'était pas le moment de présenter au Saint Père une requête quelconque. L'office fut donc proposé au clergé du diocèse, croyons-nous, sans attendre l'autorisation pontificale. Que personne ne soit surpris de voir un évêque s'arroger un droit auquel aucun chef de diocèse aujourd'hui n'oserait prétendre. On était très loin de la centralisation liturgique, de nos jours si rigoureuse. Chaque évêque se reconnaissait de très larges pouvoirs. Nous voyons saint François de Sales lui-même, un siècle environ après, modifier pour ses filles de la Visitation l'office de la Vierge. Cela lui attira quelques reproches, auxquels il répondait en alléguant l'exemple des prélats italiens, et le bon saint ajoutait avec sa sincérité habituelle : « Il ne faut pas s'entortiller l'esprit ».

Peut-être aussi François d'Estaing ne pressa pas son clergé d'adopter le nouvel office, avant l'autorisation qu'il eut toujours la ferme intention de solliciter. Les brusques réformes liturgiques heurtent toujours de vieilles habitudes et provoquent souvent des étonnements ; nous le verrons plus au long au chapitre suivant. Au synode de 1514, le pieux prélat proposa son innovation et la fit accepter par la majorité du clergé réuni. Il n'était pas uniquement question de la Fête de l'Ange Gardien, mais d'une réforme totale du Calendrier diocésain. Vers le même temps le chapitre de la cathédrale donna aussi son suffrage favorable. Léon X était, sur ces entrefaites, monté sur 1a chaire de Saint Pierre et n'avait pas tenu rigueur aux prélats français de leur opposition à son prédécesseur. L'occasion se présentait donc excellente de s'adresser au Saint Siège ; François d'Estaing proposa à l'approbation pontificale son projet de réforme du Calendrier de Rodez et notamment l'insertion de la fête de l'Ange Gardien, avec office propre, au 1er mars.

Il accompagna sa supplique d'une lettre à Sa Sainteté dont le P. Beau nous a conservé le début. Le pieux prélat se servait de la connaissance qu'il avait des saints Pères, pour rappeler délicatement au souverain Pontife un texte d'un de ses plus illustres prédécesseurs et à la fois son patron, Saint Léon le Grand.

« Très Saint Père, qu'il me soit permis d'aborder votre Sainteté en lui relisant les paroles que Saint Léon son illustre prédécesseur, adressait au peuple chrétien : Rendez plus étroites vos amitiés avec les saints Anges ».

Léon X, par une Bulle datée du 18 avril 1518, commençant par les mots : Admonet nos, répondait favorablement à la pieuse attente de l'évêque de Rodez, qui voyait ainsi combler ses vœux les plus ardents. Nous avons pu nous procurer la copie de cette pièce inestimable, qui est sûrement le premier hommage décerné au culte des saints Anges par un des successeurs de Saint Pierre ; elle n'a pas été publiée avant aujourd'hui.
Léon X, par Raphaël.
« Léon, etc. Pour perpétuelle mémoire.

Notre vénérable Frère, François d'Estaing, évêque de Rodez, nous a dernièrement présenté une requête d'où il résulte que, comme il convient à un sage et heureux administrateur de l'Eglise de Rodez dont il a la charge, et selon les talents à lui donnés par Dieu, le distributeur de toutes les grâces, après s'être entouré des lumières de plusieurs ecclésiastiques, très versés dans la connaissance des heures canoniales et des autres divins offices, et après avoir pris l'assentiment et le suffrage de ses chers fils, les chanoines de son église cathédrale, il avait à peu près réduit à l'usage, au rite et au calendrier romain, les usages et les rites suivis pour les heures canoniales du jour et de la nuit dans les diverses églises du diocèse de Rodez, de même que l'antique calendrier usité dans la ville et le diocèse.
Pareillement, dans le nouveau calendrier il avait ajouté la fête du Propre Ange de chaque fidèle, en la fixant au 1er mars, et avait prescrit la récitation et l'observation, pour chaque année à pareil jour, depuis les premières Vêpres jusqu'aux deuxièmes Vêpres, y compris la messe solennelle, d'un office spécial composé et édité par les soins de son cher fils Jean Colombi, évêque de Troie, de l'Ordre des Frères Mineurs et professeur de théologie, ainsi qu'il est relaté plus au long dans les pièces authentiques réunies en forme de brochure.Le soin que nous devons mettre à remplir notre charge pastorale, nous invite à accorder une particulière attention à tout ce qui est capable de promouvoir la régularité dans la récitation quotidienne des heures canoniques du jour et de la nuit, d'où découlent de si grandes consolations sur tous ceux qui y prennent part. A toutes les initiatives prises dans ce sens, pour qu'elles demeurent fermes et inviolables, nous devons, quand on nous en sollicite, apporter l'appui de notre autorité souveraine.
C'est pourquoi, de la part du même François, évêque, nous avons humblement été supplié de daigner, par une faveur de notre bienveillance apostolique, pour leur donner une valeur plus ferme, ajouter à ces réductions, réforme, édition, institution, lettres et écrits, la force de notre confirmation apostolique.
Nous donc, après avoir absous et déclaré tel, mais seulement pour l'effet des présentes, et à supposer qu'il y ait lieu, le susdit évêque de toute excommunication, suspense, interdit, et autres sentences ecclésiastiques, censures et peines portées, soit par le droit, soit par une autorité spéciale, et après avoir expressément approuvé toutes les lettres et tous les écrits rédigés sur ce sujet, faisant droit très volontiers à ces supplications, de notre autorité apostolique et par la teneur des présentes, approuvons et confirmons la réforme, le changement, l'addition et l'institution de la fête et de l'office du Propre Ange, ainsi que tous et chacun des points contenus dans ces lettres et ces écrits, et nous y ajoutons la garantie d'une perpétuelle valeur, suppléant à tous les défauts de droit et de fait qui ont pu s'y glisser, nonobstant les constitutions et ordonnances apostoliques ainsi que celles du diocèse de Rodez et autres églises, qu'elles soient confirmées par serment, confirmation apostolique ou autre, nonobstant aussi tous statuts, coutumes ou autres choses contraires.
Qu'il ne soit donc permis à personne d'aller contre nos présentes absolution, approbation, confirmation, addition et supplétion, etc. Si quelqu'un par conséquent... Donné à Rome, à Saint Pierre, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1518, la veille des Ides d'Avril, de notre Pontificat le sixième".
Ainsi, d'après le document pontifical, François d'Estaing, dans sa réforme avait recherché à se rapprocher le plus possible du Calendrier Romain. C'est un trait qu'il convient de souligner de la part d'un prélat français, très attaché aux coutumes nationales, comme on l'a vu en maints endroits, mais pareillement très soucieux de ne pas contrevenir aux désirs du Saint-Siège, et, pour la question liturgique, sincèrement désireux d'unir son clergé à l'église de Rome.

Le même jour, Léon X envoyait à l'évêque de Rodez une autre lettre, celle-ci sous forme de bref, accordant une indulgence pour tous les fidèles qui assisteront à la première messe dite en l'honneur de l'Ange Gardien.
« Léon X, Pape, à tous et à chacun des fidèles chrétiens qui ces présentes lettres verront, Salut et bénédiction apostolique.
Bien que nous ayons un singulier désir de faire donner au peuple de Dieu sa pâture spirituelle, néanmoins il nous est surtout agréable de le paître spirituellement dans les sacrés mystères de la messe, où s'immole pour tous ses fidèles le Sauveur du genre humain.
Aujourd'hui, en effet, notre vénérable frère François d'Estaing, évêque de Rodez, nous a exposé comme quoi, du consentement et avec le suffrage de ses chers fils les chanoines de son église cathédrale, il avait institué la fête de l'Ange Propre de chaque fidèle, à célébrer et à observer le 1er jour de mars dans l'église de Rodez et toutes les autres églises du diocèse ; et nous, par d'autres lettres, entre autres concessions, avons, de notre autorité apostolique, approuvé et confirmé cette louable institution.
Désirant donc gratifier de faveurs célestes les fidèles de l'un et de l'autre sexe qui assisteront à la première messe du Propre Ange que célèbrera le dit François, évêque, ainsi qu'à l'office du même, pour les engager à se rendre en plus grand nombre à cette célébration et récitation par l'espoir d'une abondante réfection de leur âme par la grâce céleste, confiant en la miséricorde du Dieu tout-puissant et en l'autorité des Bienheureux Apôtres Pierre et Paul, à tous et à chacun de l'un et de l'autre sexe vraiment contrits et confessés, ou qui auront le dessein de se confesser, qui au jour où François évêque célèbrera la première messe du Propre Ange dans son église cathédrale, visiteront l'église susdite, nous accordons miséricordieusement dans le Seigneur trente ans et tout autant de quarantaines de véritables indulgences, la présente concession ne devant plus avoir aucune valeur après le premier jour de la célébration.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, sous l'anneau du Pêcheur, le 12° jour d'avril 1518, de notre Pontificat, le sixième ».
Le Pape Léon X, on le sait, avait un esprit largement ouvert à toutes les grandes initiatives. Celle de François d'Estaing lui plut beaucoup. D'après le témoignage du P. Beau, reposant sur un Bref particulier qu'il déclare avoir parcouru de ses yeux, le Saint Père fit savoir à François d'Estaing qu'il se proposait de proposer la fête de l'Ange Gardien à l'Eglise universelle. Il trouvait seulement l'office un peu long ; il l'engageait donc à l'abréger : « Nous pourrions ainsi plus aisément, disait-il, imiter votre dévotion, et pour l'honneur et la piété dus aux Anges Gardiens imposer cet office à l'Eglise universelle ». Obéissant à ce voeu, François d'Estaing fit abréger l'office, mais, sur ces entrefaites, le Pape mourut et le projet n'eut pas de suite immédiate.

Rien ne manquait pour solenniser tout de suite dans le diocèse de Rodez une fête qui très facilement pouvait devenir populaire. Mais, les oeuvres divines sur la terre doivent, avant de s'établir, soutenir l'épreuve de la contradiction, et souvent plus une entreprise est noble et belle, plus elle est attaquée dans sa naissance et dans son progrès. Qu'on se souvienne des oppositions qu'a rencontrées à une époque plus récente le culte du Sacré-Coeur de Jésus. Dieu permet que les pieux desseins inspirés par lui, ne puissent s'établir pendant de longues années ; que des volontés, droites quelquefois, plus souvent malveillantes et obstinées, empêchent leur progrès ; lorsqu'enfin la sainte entreprise sort victorieuse des coalitions, elle a reçu le sceau qui manifeste à tous son origine divine, et elle progresse et s'étend merveilleusement pour le plus grand bien de l'Eglise.

L'opposition vint à François d'Estaing d'un membre de son chapitre : l'archidiacre Garrigues. […] Quand François d'Estaing, en 1518, eut reçu les précieuses bulles, Garrigues, déjà en conflit avec son évêque, prit de suite le chemin de Rome. Il ne prétendait à rien moins qu'à faire condamner François comme hérétique pour ses hardies innovations. Il travailla avec tant de succès pour sa cause, que tout ce qu'on avait projeté à Rodez pour la célébration solennelle de la fête concédée dut être suspendu, en attendant la conclusion du procès engagé.

Peu avant sa mort, survenue en 1521, le Pape Léon X donna une sentence contre Garrigues, et maintint à François d'Estaing toutes les concessions obtenues. Sans doute les ennemis de notre évêque allaient se prévaloir de la mort du grand Pontife pour recommencer leurs intrigues. François d'Estaing crut indispensable de porter de nouveau l'affaire devant le nouveau Pape, Adrien VI. Celui-ci confirma pleinement les actes de son prédécesseur, mais un autre contre-temps surgit et entrava encore la pieuse entreprise. Adrien VI mourut après un pontificat de quelques mois, avant que sa chancellerie eut pu libeller les concessions par lui accordées à l'évêque de Rodez. Tout néanmoins était prêt et le nouveau Pontife, Clément VII, se hâta de faire expédier à François d'Estaing la Bulle Rationi congruit du 26 novembre 1523, qui terminait toute l'affaire.


Les difficultés étaient maintenant aplanies ; d'ailleurs le clergé de Rodez (armes de la cité ci-contre) n'avait pas attendu la dernière sentence pontificale pour embrasser la dévotion proposée et réciter l'office ; on n'avait cependant pas eu encore de solennité extérieure. Le Bienheureux, muni des autorisations et des privilèges pontificaux, ayant même obtenu, s'il faut en croire le P. Beau, pour le jour de la première messe une indulgence sous forme de jubilé, se proposa de convoquer son peuple à une fête grandiose. Il l'annonça et la prépara longtemps à l'avance ; elle fut ainsi retardée jusqu'en 1526. Souvenons-nous que cette année-là est celle de l'achèvement du clocher de la Cathédrale. N'est-on pas autorisé à penser que le saint évêque voulut attendre pour fêter les Saints Anges que la Sainte Vierge eût été placée sur son trône ? A une fête qui devait se dérouler en plein air, l'élégante et majestueuse tour ajouterait certes au décor extérieur, et la Reine des Anges semblerait présider à la glorification de nos célestes protecteurs.

Le 3 juin 1526 était le dimanche dans l'octave de la Fête-Dieu : ce fut le jour choisi pour la magnifique solennité. On attendait à Rodez une affluence énorme ; aussi ne fallait-il pas songer à faire l'office à la cathédrale. Une vaste esplanade pouvait seule fournir l'endroit approprié. Joignant les portes de la Cité, du côté ouest, se trouvait un large terrain utilisé depuis des siècles pour les quatre grandes foires de Rodez, qui sont demeurées traditionnelles jusqu'à nos jours. C'était l'emplacement connu encore sous le nom de foiral, alors lo feyral, ou bien le faubourg d'Albespeyres. Au fond, depuis quelques années se dressaient les bâtiments de la Chartreuse, habités par des moines qui avaient toutes les sympathies du pieux évêque. Sur cette vaste étendue de terrain, devant le magnifique panorama qui se déroule de cet endroit aux yeux du spectateur, allait se célébrer la première messe qu'on ait dite en l'honneur des anges gardiens. Un autel aux vastes proportions fut élevé contre l'église des Chartreux, et le peuple se massa sur l'esplanade, sur les remparts de la ville, et jusques sur les coteaux avoisinants de l'amphithéâtre, de Camonil et de l'autre côté de l'Auterne. On y compta, dit le P. Beau, plus de cent mille personnes.

Sans doute l'évaluation d'une foule est une opération fort difficile et les narrateurs d'une fête populaire ont à se tenir en garde contre l'exagération. Néanmoins ce chiffre ne doit pas paraître invraisemblable à qui connaît l'empressement de nos aïeux à certains pèlerinages, et surtout le zèle vraiment héroïque qu'ils mettaient à profiter des indulgences, encore plus d'un jubilé. Le jubilé de Notre-Dame du Puy est célèbre ; les anciennes chroniques nous parlent d'une affluence de 300.000 personnes à certaines années. Rodez lui-même a vu des manifestations religieuses où le nombre des fidèles accourus nous paraît aujourd'hui prodigieux et qui cependant est attesté par des récits dignes de foi. Au jubilé de 1702 l'affluence fut incroyable ; les solennités durèrent du 23 avril jusqu'au 23 juin. Chaque jour des processions arrivèrent, de paroisses quelquefois fort éloignées. Le 15 mai on vit arriver 111 paroisses ; il n'y avait pas moins de 40.000 personnes ce jour là à Rodez. Si au lieu de durer deux mois, le jubilé n'avait duré qu'un jour, comme en 1526 pour la fête de l'Ange Gardien, le chiffre de 100.000 assistants donné par le P. Beau eût été largement dépassé.

Quelle ne dut pas être la sainte joie du Bienheureux d'Estaing lorsqu'il vit accourir cette immense foule, venue pour acclamer la grande oeuvre de toute sa vie ! Le succès était maintenant complet, définitif ; les saints Auges Gardiens auraient leur jour de fête ; en s'en revenant les fidèles emporteraient dans leur âme une tendre vénération pour ces célestes protecteurs. Ce culte franchirait bientôt les frontières du Rouergue ; la piété catholique s'enrichirait d'une nouvelle dévotion et le peuple chrétien s'étonnerait de n'y avoir pas plutôt songé. Peu à peu ce culte s'étendrait et l'autorité souveraine achèverait l'oeuvre en le proposant à la chrétienté toute entière, comme un nouveau trésor de grâces.

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